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Madame Bovary et moi

Par Rose

La première fois que j’ai lu Madame Bovary, je travaillais dans une colonie de vacances. Mon livre et moi formions un couple tellement attendrissant que, lors d’un jeu de pistes, l’un des défis pour les enfants était de me retrouver et de me demander : « Que lis-tu, Rose ? » « Je lis Madame Bovary ».
J’avais tardé à me pencher sur cette histoire, car, victime innocente de la redécouverte (?) des Trois Contes de Flaubert, j’avais étudié deux fois déjà à l’école Un cœur simple, et je n’en pouvais plus des affres de la malheureuse servante Félicité.
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A la relecture, j’ai retrouvé le plaisir de ces phrases parfaitement calibrées pour crucifier les aspirations des personnages et épingler leur bêtise ou leur conformisme. Flaubert a vraiment la dent dure, et c’est délicieux.
On connaît l’histoire : Emma est une petite sotte romantique et exaltée, aux rêves trop grands, qui meurt de frustration dans une petite ville de la campagne normande. Elle a épousé un médecin, Charles Bovary, une bonne pâte d’homme qui lui passe ses caprices et ne la comprend pas. De crises de nerfs en rêveries platoniques, d’adultères décevants en crise mystique ou en frénésie de dépenses, elle finit par s’empoisonner à l’arsenic.
Grande sœur de toutes les lectrices, elle est une figure de l’aveuglement : elle n’apprend pas la vie dans les livres, n’y recherche pas une représentation de la réalité mais s’égare dans des rêveries chevaleresques et illusoires. La vie selon elle ne devrait être faite que de sentiments purs, d’élévation, les jours devraient couler étales et palpitants à la fois, dans un bonheur parfait.
Et Flaubert de fustiger la mièvrerie des romans que les jeunes filles lisent en secret au couvent et des rêveries romantiques de héros forts comme des lions mais doux comme des agneaux. Il jubile de saboter la promenade d’Emma chez la nourrice, en la galante compagnie de Léon, en une expédition entrecoupée du spectacle d’un pourceau sur son fumier, de vaches entourées d’essaims de mouches ou de guenilles mises à sécher au soleil. Tout cela est laid, mais infiniment drôle. Par un procédé symétrique, lors de leur premier rendez-vous à Rouen (celui où, ils le savent, la love affair doit, va se conclure), la rencontre à la cathédrale est parasitée par un guide qui tient absolument à faire voir aux jeunes gens les beautés notables du lieu, pour la plus grande exaspération de Léon qui, fort comme un lion mais peu gentleman, lui arrache littéralement Emma pour la jeter dans un fiacre (là intervient la célèbre scène du fiacre, celle où l'on ne nous dit rien pour mieux nous laisser tout imaginer).
Bref, Flaubert est un grand auteur comique. Difficile alors de se laisser émouvoir par les personnages, de s’identifier. Mais pas impossible : si agaçante qu’elle soit, Emma est cette rêveuse touchante qui voudrait toujours reprendre sa vie à zéro, avoir mieux, plus grand, plus beau ; elle pousse toujours le jeu beaucoup plus loin que ses amants pusillanimes qui finissent par l’abandonner parce qu’elle voit trop grand. Je n’aime cependant pas trop son côté midinette : ses rêveries ne lui offrent l’image d’une vie accomplie que dans l’épanouissement d’un grand amour. Jouer du piano ? à quoi bon puisqu’il n’y a aucun cœur à voler par la qualité de son jeu.
Emma a son double dans le domaine de la science, de la connaissance et non plus du cœur : c’est le pharmacien Homais. Lui a échangé les images romantiques contre les convictions progressistes et déistes héritées du siècle de Lumières et, de même qu’Emma laisse les liaisons clandestines et les baisers enflammés affadir sa perception de la vie quotidienne, Homais se montre parfois aveugle et insensible, tout occupé qu’il est à lutter pied à pied contre une idée qu’il juge obsolète. C’est ainsi qu’il veille Emma morte sans  vraiment penser à elle, il semble rester à son chevet pour ne pas laisser la place au curé qu’il affronte entre deux assoupissements. J’avoue un faible pour le ridicule Homais, c’est peut-être sa nombreuse famille aux prénoms emphatiques (Napoléon, Franklin, Irma et Athalie), ou sa façon de pérorer impitoyablement. Et pourtant Homais est vraiment le mauvais génie du couple Bovary : il entraîne Charles dans une opération hasardeuse qui le couvrira de honte et lors du suicide d’Emma il se révèle incapable de prendre les bonnes décisions.
Et comme décidément je suis un cœur sensible, même Charles, oui Charles surtout, n’échappe pas à mon affection : il manque de flamme pendant tout le livre, mais lui, il meurt (peut-être) d’amour.
Enfin une dernière raison à ce grand plaisir de lecture que m’a donné ce roman tient à ce que Flaubert est un écrivain Normand. Maintenant que je maîtrise mieux la géographie locale, je trouve délicieux de voir le ménage émigrer du pays de Caux vers le pays de Bray pour s’installer dans le petit village qui fabrique le pire fromage de Neufchâtel, nous dit-on (un fromage en forme de cœur qui semble destiné à l’Emma qui sommeille en nous), et de suivre la trajectoire folle du fiacre aux rideaux baissés. Je m’étais baladée cet hiver dans le petit village qui inspira Flaubert pour la création d’Yonville. On y trouve un phalanstère pour enfants pauvres (transformé plus tard… en gendarmerie) édifié sur les plans du pharmacien qui fut le modèle d'Homais. Il y a une grande rue avec des halles et quelques auberges à pans de bois. Ce jour-là, il faisait très froid et la grand rue était déserte, ennuyeuse, exactement comme elle avait dû apparaître à Emma.

pour suivre Emma

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