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Lake Tahoe, de Fernando Eimbcke

Par Timotheegerardin

Cet article est issu de ma première chronique DVD pour le webzine cinéma Kinok.

Lake Tahoe, de Fernando Eimbcke
Il ne faut pas être pressé, pour aimer Lake Tahoe. Car la plupart des plans restent accrochés aux décors. Une étrange pesanteur retient les mouvements de la caméra, depuis qu’une voiture rouge s’est échouée contre un poteau, sur le bord de la route. Une succession de plans fixes, en forme de diapositives, souligne pourtant le mouvement de notre personnage, dans sa recherche d’un garage pour réparer la voiture. A chaque façade, une étape, à chaque garage, une façade : un monde figé, qui a son atmosphère propre, et ses personnages.
Longtemps, le jeune homme dont nous suivons le parcours n’est qu’une silhouette. Un homme qui marche d’un côté à l’autre de plans larges, dans des décors immobiles. Ce sont les rues d’un village mexicain qui a quelque chose du village fantôme. Ou du moins, s’il y a de la vie derrière tout ça, nous allons le voir, ces habitations sont-elles d’abord hermétiques, arides sous le soleil latin, et sans profondeur puisqu’elles ne sont que façades. Il y a aussi des routes traversées, dont même le point de fuite semble un trompe l’œil, un mirage en forme de perspective, dessiné par la chaleur âpre qui monte du goudron.
Notre personnage, donc, semble condamné à errer ainsi de garage en garage. C’est avant tout sa quête qui donne un semblant de cohérence à la succession des plans. C’est ce qui lie quelque peu les fragments, ces lourds blocs bien séparés par de longs fondus au noir. Il y a dans chaque séquence une force d’inertie, un acte d’indépendance dans chaque plan. De même que tous les personnages semblent vouloir détourner Juan (nous apprenons finalement son nom) de ce qu’il est venu chercher - une aide pour réparer sa voiture -, de même chaque scène, ou plutôt chaque plan, est comme un petit monde clos qui obstrue l’enchaînement du récit principal. Alors qu’il est parti pour réparer sa voiture, Juan se retrouve à promener un chien, à garder un bébé (ou presque), à déjeuner sur fond de versets de la Bible, quand il ne regarde pas simplement un film de Kung Fu.
Lake Tahoe, de Fernando Eimbcke


Cet aspect fragmentaire est l’occasion de procédés insolites, souvent comiques, par exemple l’usage insistant des fondus au noir comme autant de silences éloquents. Si éloquents, les silences, qu’il arrive que la bande sonore continue de se dérouler, sans renfort d’aucune image - c’est le cas notamment pendant le film que Juan va voir avec son nouvel ami amateur de Bruce Lee. Isoler ainsi les petites saynètes permet aussi à Fernando Eimbcke de mettre en valeur des plans savamment agencés, comme celui où notre personnage, d’un côté du cadre, accueille les condoléances d’une famille amie, pendant que, de l’autre côté, son camarade dérobe une pièce de leur voiture.

S’il est question, soudain, de condoléances, c’est que toutes ces complications, en même temps qu’elles semblent nous éloigner du fil conducteur, nous rapprochent en fait de ce que vit Juan – nous apprenons, au détour des situations, que Juan et son petit frère viennent de perdre leur père. La perspective change. Aux murs et aux façades s’opposent la cour de la maison où Juan vit avec son frère et une mère que nous ne verrons presque pas. A la saturation du plan par les décors succède une véritable profondeur de champ – par exemple quand l’enfant observe à travers la porte-fenêtre son grand frère partir –, qui est à la mesure de ce qui se révèle de l’émotion de Juan. Toujours de la solitude, mais offerte, désormais, et partagée.

Lake Tahoe, de Fernando Eimbcke


Ce qui touche, au fond, et ce qui donne un sens à une mise en scène très étudiée, c’est la pudeur avec laquelle Eimbcke nous amène à cette révélation. Car si l’on ne peut que saluer la précision des différents procédés, l’ensemble est un peu trop souligné. On se lasse parfois que la caméra s’appesantisse à chaque fois dans les lieux que tout le monde à quitté, ou que les fondus au noir persistent pendant quelques secondes de trop. Les meilleurs passages, les moments les moins pesants, sont ceux où la précision est employée à des fins comiques. On garde en tout cas un bon souvenir de ce film bien fait, qui nous épargne les grands discours sur le deuil. A la fois économe dans la démonstration des sentiments et puissant émotionnellement.


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