Magazine Animation

Le sens de la vie pour 9,99 dollars

Par Hortensia

Le film avait été court, mais bon. C’était une simulation sans réels acteurs à l’écran. Je me doutais bien qu’à un moment la réalisatrice avait bien dû employer au moins des figurants pour reprendre les traits des visages ou même certaines positions. J’avais aimé beaucoup de scènes. Nous en parlions, à la sortie, avec Brady. Bon évidemment, dans la vraie vie, Brady, il ne s’appelle pas Brady, vous vous en doutez bien. Je préserve son anonymat. Je l’appelle Brady en rappel de Brad Pitt. En effet, hier, je lui lisais mon journal intime, découvert dans le bric à brac de la maison familiale que je rangeais suite aux décès des parents. J’avais laborieusement écrit ce journal vers la petite adolescence, et entre deux fous rires, j’ai lu que je désirais pour la prochaine année scolaire rencontrer un mec au physique de Brad Pitt et à l’intelligence d’un illustre inconnu, dont un jour après, je ne me souviens même pas du nom. Comme quoi, le physique paye mieux que la cervelle. Mais ça, vous le saviez déjà, même si je pense qu’on est tous d’accord pour déplorer cet horrible état de fait!

Nous parlions de cette scène où le jeune écolier à la tirelire fait une tirade sur son cochon souriant devant toute la classe. J’expliquais à Brad ce que j’avais ressenti et ce que je pensais que l’institutrice devait aussi avoir ressenti. En effet, même si le film était une animation, il n’en restait pas moins que certaines scènes étaient bien mieux jouées que par de véritables acteurs.
Cette pauvre institutrice qui finalement n’avait pas réussi à changer son ex-fiancé le looser. Ce dernier était resté immature, inapte à la vie de couple.

Ainsi aussi, cet homme, tombé éperdument amoureux du top model et qui sacrifiera tout de lui, c’est à dire son identité, son individualité, pour elle. J’avais trouvé cette action, de le part du metteur en scène, terriblement ingénueuse. D’habitude, ce sont plutôt les femmmes qui renoncent à leur individualité pour pouvoir rentrer dans le moule de la normalité physique et sociale.

J’avais eu, en marchant, à côté de Brad, comme cela, dans les rues nocturnes de Toulouse, une petite seconde de satisfaction. D’habitude, son esprit d’analyse et de ressenti était bien supérieur au mien. Je senti sa main serrer la mienne. Toulouse en devenait encore plus rose. Nos ventres commençaient à se creuser. Je décidais de l’emmener vers cette rue aux multiples restos près de la librairie Ombre Blanches.

Nous avons trouvé ce resto indien. Il restait une table libre au fond. Nous avons pris place et commandé. Braddy me parlait. Je le regardais et l’écoutais en mangeant. Il me parlait de son travail de chercheur et tentait de m’expliquer un de ses articles sur l’approvisionnement des protéines en potassium, calcium et autres vitamines. Triple satisfaction. Que demander de plus. J’engloutissais les mets indiens à une allure rapide et régulière, le pain nan, les beignets d’aubergine, le riz, le poulet tandoori. Tout cela était succulent. Nous n’avions pas pris de vin mais je commençais à sentir une lourdeur sur mes paupières. Je n’arrivais plus à me concentrer sur le conversation, je n’arrivais plus à avaler quoi que ce soit de mes plats encore à moitié pleins.

La lumière de la bougie qui était entre nous, sur la table, commençait à vaciller. Mon estomac devenait de plomb. Cette histoire d’ions protéinés me tournait légèrement la tête. Une scène du film s’ancrait en moi, celle des coussins du top model… Braddy, me souriait. Je voulus prendre la carafe d’eau mais je ne pus m’en saisir. C’était devenu du plomb. Peut-être étions nous nous-mêmes devenus une animation? Progressivement, tout m’apparaissait irréel, le brouhaha ambiant, ce va-et-vient des clients fumeurs qui se levaient tour à tour pour aller tirer sur leur tige, la carafe de plomb, le riz dans mon assiette, la lueur de la chandelle.. Et ce film avec ces personnages aux traits grossiers mais tellement réels et actuels ! Quelle tête est-ce que j’aurais, moi, si l’on me représentait, soudainement, dans une de ces animations..?

J’en étais à ces réflexions lorsque je sentis tout à coup un gros coup sur mon dos. Ça m’aplatissait sur la table, je restais coincée, le ventre écrasé, sans rien pouvoir faire… Je sentais des tiraillements aigus qui coupaient court à toute dimension de mon espace vital. Je sentais que j’allais disparaître. La gomme effaçait tout.

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