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Claude Ber/Vues de vaches

Par Angèle Paoli

Claude Ber/Cyrille Derouineau, Vues de vaches,
L’Amourier, 2009.


SCAN Vues de vaches


FASCINATIONS
   Variations sur la vache, Vues de vaches est un hommage poético-mythologique à quatre mains. L’auteur, Claude Ber, y accompagne de ses textes les photos de Cyrille Derouineau. Gros plans sur les pis et les mufles, « le béret du chignon » et les cornes, sur les yeux doux des belles et leurs longs cils, contre-plongées sur les larges croupes étrillées ou crottées, les pattes fines et les corps pansus, vaches avec paysages ou avec ciel mais aussi « vaches paysage » et « fondus enchainés » de « vaches cosmiques » ou marines, les vaches de Cyrille Derouineau comblent pleinement le regard, page de gauche, tandis que les textes de Claude Ber, qui adoptent parfois les courbes des calligrammes, l’attirent dans l’espace de la page de droite. Bel ouvrage talentueux que ce duo bucolique, qui donne envie de regarder, de feuilleter, de lire. De sentir et de humer. Le charnu. Et le charnel.
   Amphibologique, le titre de l’ouvrage, Vues de vaches, suggère le déplacement du regard. De celui qui observe à celles qui sont prises dans l’objectif du « Leica indiscret » mais aussi, l’inverse. « Elle aussi me parle de moi », confie dans « Bibelots » Claude Ber. Dont les interrogations essentielles reviennent à elle en boomerang. Ainsi, l’auteure de cette « louange » nous donne-t-elle à voir d’elle-même autant que des vaches dont elle est la complice attendrie et savante, féminine et femelle à la fois. De cette mise en miroir où s’abyment vaches isiaques et vaches chamaniques, Bretonnes, Morvandelles, Normandes d’Étretat, vaches de montagne, vaches grammaticales et linguistiques, vaches picturales ― celles de Ruysdael, de Chagall, de Kandinsky ― ou vaches anonymes sans distinctions particulières, ce qui se décline ici, démultiplié dans ces portraits de vaches observées et analysées avec rigueur et précision mais aussi avec humour et poésie, c’est la sensualité tendre et éclatante de l’auteure. Quelle que soit la race, la provenance, les lieux de vie, les caractères et les caractéristiques évoquées pour chacune d’elles, le regard que Claude Ber pose sur « ses » vaches est celui de la connivence admirative et enthousiaste. Regard de connaisseuse enjouée qui convoque et jauge avec un amour égal, comme dans un défilé de mode champêtre, la transhumante et la séductrice, l’archaïque et la guerrière, La Tarine qui galope du Mercantour à l’Himalaya, la jolie Jersiase-aux-yeux-de-biche, les Reines du combat, « nerveuses et racées », les Bretonnes Pie Noir, la Bazadaise. La Blonde d’Aquitaine dont le seul nom ravive l’icône de mondes nervaliens en sommeil.
   Archétypale, indissociable de l’arrière-pays de nos enfances, la vache selon Claude Ber échappe à l’esprit de collection. Sans doute parce qu’elle résiste à nos désirs récurrents de l’enfermer dans les enclos de nos représentations mentales. Pourtant, si l’auteure a renoncé aux collections de pacotille, elle ne résiste pas toujours aux représentations dont les belles sont l’objet. « Je craque ». « Je marche », confie Claude Ber dans la page intitulée « Bibelots ». Et l’auteure de béer devant cette « vachette tournicotée en tour Eiffel bicolore » ou bien devant cette autre, « méditante inattendue » faisant zazen dans sa vitrine. C’est que « sous les bibelots pointe la vache culturelle, sa corne d’abondance et son imagerie. Lait de connaissance qui apaise nos peurs ». Mais, sous les bibelots encore, derrière les images d’Épinal, ce qui demeure sous les doigts qui se ferment, c’est le « vide de l’air ».
   Restent les mots pour dire les affinités électives de toujours. Les mots pour tenter de dire, au cœur même de cette passion héritée de l’enfance, la conscience douloureuse de la cruelle séparation, qui range l’auteure « du côté du prédateur ». « Spirituellement aériennes », les vaches sollicitent la réflexion des hommes. « Car peindre ou écrire sur vache donne à méditer ». Sur l’infamie humaine.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli



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