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Décentré quinze

Publié le 12 mai 2009 par Menear
L'orage de cette nuit ayant fait gonfler les plaines et vomir les marais, ils nous font passer par les voies ce matin pour accéder au quai les pieds au sec. Le tunnel souterrain (bref regard entre les rubans jaunes, reflets dans l'ombre grise) est complètement inondé. Les pompiers, hommes et femmes, vissés autour, regardent, leurs polos bleus moulés au corps.
A l'intérieur (du train), tous les sièges sont tournés ensemble dans la même direction, nous prenons place. Les visages ce matin renversés ne s'affichent pas. Ne restent que les nuques étalées dans la profondeur du wagon jusqu'au bout de l'escalier. Tous corps tournés, regards hors champ, vers un point de fuite plastique, sorte d'écran qui n'y est pas. Je suis au premier rang. Je me retourne mais ne distingue pas les visages restés derrière. Le corps d'un croquis potentiel pourtant s'y présente, mais rien ne vient. Je me force à dresser cette esquisse en une phrase qui n'accroche pas, elle reste en langue, à l'intérieur1. Seulement des nuques, des nuques brisées, derniers boutons ouverts sur gorge serrée, le roulis du train subi.
Durant ma pause de midi (déplacée treize heures dix), E. m'appelle sur mon portable : je suis perdue dans Paris, dit-elle. Cette journée (je lui réponds) est juste horrifique du début au lendemain. Passé ce préambule, nous nous résumons sommairement nos expériences mutuelles. En raccrochant je me rends compte que je ne l'ai pas aidée à retrouver sa route, signe qu'elle n'avait probablement pas besoin de moi.

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1 En pareille occasion, David Menear écrirait (d'ailleurs c'est ce qu'il a fait) : « Il aimerait bien disparaître au noir sur mon rétroviseur : trop facile, regard ailleurs, il aimerait bien. » (Journal des sens, Volume 3)


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