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L'esprit de sérieux m'a tuer, ou comment ratiociner sur les problèmes de notre temps

Par Thomz

Il m’arrive de regarder la télévision, sur internet. Récemment je suis tombé sur la joute entre Eric Naulleau d’un côté et Francis Lalanne de l’autre. Tandis que j’estime l’un, pour son travail d’éditeur et de critique, j’ai toujours vu l’autre comme un guignol de premier ordre, un poète de grands magasins, un Cali illuminé, sincère dans sa bêtise, sans une once de second degré, lui qui se veut poète manque singulièrement de recul et n’a pas compris que la poésie n’était pas affaire de rimes. Mais passons. Naulleau qualifia de délit/délire culturel le dernier ouvrage de Lalanne qui lui répondit qu’il n’avait pas le droit de dire que son bouquin était de la merde (ce qu’il est, je suis allé le feuilleter par acquis de conscience, je voulais aussi relever quelques perles, mais je me suis rapidement rendu compte qu’il aurait fallu que j’achète directement l’ouvrage, ce qui était bien entendu tout à fait hors de question) mais que seulement il ne l’avait pas aimé. Problème courant. Personne n’a plus le droit de dire de quelque chose, d’un livre en l’occurrence, car on essaie de s’occuper de littérature tant que faire se peut, personne n’a le droit de dire d’un livre qu’il est mauvais.

Parce que c’est vécu automatiquement comme une attaque contre l’auteur, qui met souvent en avant, lorsqu’il a l’occasion de répondre, la passion et le temps qu’il a fallu pour qu’il accouche de son livre. Parfois/souvent, le temps ne change rien à l’affaire ; On peut mettre trois semaines, trois ans, voire dix à écrire un livre qui sera mauvais. Le temps d’écriture, de « maturation » supposée n’a rien à voir avec la qualité d’un ouvrage.

Parce que l’on peut très bien aimer un mauvais roman et ne pas aimer un bon roman. De là à dire qu’il y aurait des catégories objectives qui permettent de dire si un livre est bon ou pas, il y a une ligne que je ne saurais/voudrais franchir. Ce qui est certain c’est que dire que l’on aime/aime pas un roman, et dire qu’un roman est bon/mauvais, ce n’est absolument pas dire la même chose, parce que le goût personnel ne saurait être confondu (du moins entièrement) avec l’esprit critique qu’il convient de revêtir quand on essaie de causer littérature, lorsqu’on essaie de déterminer ce qui fait littérature, et simplement lorsqu’on parle d’un livre. Savoir si Naulleau a aimé le bouquin on s’en tape. Ce qu’on veut savoir c’est si le bouquin est bon. Cela vaut pour Naulleau comme ça vaut pour tout le reste des blogs littéraires par exemple. Quand je lis (je synthétise) : « je n’ai pas aimé le dernier Richard Powers (L’ombre en fuite, Lot 49, Le Cherche-midi) parce que c’est trop compliqué » (et c’est une synthèse de ce qui est dit dessus sur une bonne partie des blogs qui en parlent) et que ça s’arrête là, est-ce qu’on a dit pour autant quelque chose du roman ? Non. Certes, je suis partisan, au moins pour ce qui est de la « critique » sur les blogs littéraires (notez les pincettes) d’une forme ou d’une autre de restitution de l’expérience de lecture, ne serait-ce que pour donner au texte « critique » une épaisseur que la presse traditionnelle, qui s’occupe généralement de « critique » (notez les pincettes), ne s’occupe même pas de donner (ce n’est pas/plus son rôle, et c’est là un des avantages dont doit se saisir la « blogosphère littéraire » (notez les pincettes)). Mais dire « j’aime/j’aime pas » n’a rien de satisfaisant, et ne saurait être un critère valable de jugement d’un ouvrage. Trouver un ouvrage trop compliqué est-ce parler du livre ou simplement montrer son incapacité à lire. ? (Certes le bouquin en question n’a rien de facile, mais cette complexification par l’emploi de termes et de logiques appartenant à un domaine technique précis est avant tout un procédé narratif).

Mon anévrisme frétille alors je conclus. On est arrivé à un moment où le sujet est devenu l’étalon de toute bêtise, tout est ramené au simple rang non pas d’une expérience, ce qui supposerait une construction quelconque, mais d’un simple ressenti, un vécu de bas étage, digne des émissions de Mireille Dumas. On ne peut plus rien dire de rien parce que la parole de l’un vaut largement celle de l’autre. Là encore la question de la légitimité d’un critique peut se poser, mais c’est une question pour un autre jour. L’appréciation personnalisée a remplacé la critique. Il n’y a pas d’adéquation entre le fait d’aimer un livre et sa qualité. Et inversement. On ne peut plus parler de littérature quand ce que l’on juge ce n’est pas le livre, mais notre position face au livre.

C'est pour cela qu'il ne peut y avoir de vrai débat sur les blogs, ou que celui-ci est singulièrement limité. Parce que ce qui fait office de critique n'est qu'une juxtaposition, mise en liens hypertextes d'avis mous du genou qui ont tous pour point commun de ne pas parler du livre dont ils devraient s'occuper, et surtout de ne pas essayer de comprendre ce que fait ce livre.


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