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"Mon banquier m'a dit...", entretiens menés par David Laufer

Publié le 18 mai 2009 par Francisrichard @francisrichard
Paru à l'automne aux éditions Xenia (ici), ce livre reste d'actualité. David Laufer s'entretient avec six personnalités sur l'avenir de la banque en Suisse. Vaste sujet.

Le premier interlocuteur de David Laufer (ici) est un professeur américain, Luis Suarez-Villa, de l'université de Californie, Irvine. Au cours de cet entretien l'éminent professeur est conformiste quand il s'agit de l'origine de la crise du système financier. Il incrimine la dérégulation, comme beaucoup d'observateurs, alors qu'en réalité c'est l'excès de réglementation qui a conduit les banquiers à se montrer de plus en plus inventifs pour la contourner, sans que les organes de contrôle soient à même d'y comprendre quelque chose.

Là où le professeur Suarez-Villa est plus original c'est quand il considère que la Suisse doit défendre ses valeurs de respect de la sphère privée et que c'est en les abandonnant pour pénétrer le marché américain que l'UBS et le Crédit Suisse ont mis le doigt dans un sacré engrenage, de même que lorsqu'elles ont cherché à devenir des mégabanques comme leurs homologues américaines.

Alors que les attaques contre les banques suisses n'avaient pas encore pris l'amplitude que nous avons pu observer ces derniers mois, le passage suivant prend toute sa signification prémonitoire :

Beaucoup de banques à travers le monde peuvent apporter un soin attentionné, si ce n'est minutieux, aux besoins de leurs clients, mais seules les banques suisses et les lois suisses ont par le passé pu garantir le niveau de respect de la sphère privée que recherchent beaucoup de clients.

D'autre part les mégabanques suisses [UBS et Crédit Suisse] risquent de ne pas pouvoir couvrir les pertes de clients dont elles souffriront en Suisse lorsqu'elles accepteront de révéler les données de leurs clients à des autorités étrangères.

Ce premier entretien est suivi par la publication de courriels adressés par le Pr Suarez-Villa à David Laufer, qui s'échelonnent entre le 14 juillet et le 19 septembre 2008. L'intérêt de ces courriels est qu'ils sont datés et qu'ils montrent que, depuis des mois, il était possible de savoir à quoi il fallait s'attendre de la part des autorités américaines. Ainsi le 6 septembre 2008 écrit-il :

La raison principale à laquelle je pense pour cette chasse aux sorcières des paradis fiscaux, orchestrée par quelques politiciens américains [dont le fameux sénateur démocrate Carl Levin], semble plutôt résider dans le besoin urgent de payer les coûts exorbitants occasionnés par la machine de guerre globale américaine.

La parabole de la paille et de la poutre trouve une illustration dans le rôle de paradis fiscal que jouent les Etats-Unis eux-mêmes et que souligne le Pr Suarez-Villa dans un courriel du 8 septembre 2008 :

Les Etats-Unis attirent chaque année des milliards de dollars de la part d'investisseurs ou d'épargnants étrangers, pas même résidents américains, et leurs comptes ne sont jamais déclarés à leurs pays d'origine(...).

Les Etats-Unis, en revanche, sont la seule nation au monde avec la Corée du Nord à posséder un système fiscal extraterritorial, ou global, qui taxe les résidents américains, qu'ils soient citoyens américains ou non, où qu'ils soient, quel que soit leur revenu, et que leur revenu soit d'origine américaine ou non ...

L'entretien avec Georges Blum, ex-PDG de la SBS, permet de connaître le point de vue d'un homme du sérail. Dans la débâcle de l'UBS, Georges Blum voit

une ambition vécue avec une certaine démesure, liée à un contrôle insuffisant et à un laisser-faire au sein de la Division d'investment banking. L'attrait de bonus alléchants a sans doute également contribué à cette débâcle.

Maintenant que l'UBS a un collier au cou, elle ne maîtrise plus les salaires de ses collaborateurs, l'actuel Président, Kaspar Villiger, ex-Conseiller fédéral, se plaint qu'ils quittent le navire (ici). Ce qui était pourtant prévisible...

Les risques pris par l'UBS, et à un moindre degré par le Crédit Suisse, ne l'auraient jamais été par les banquiers privés, selon Georges Blum. Pourquoi ?

Ils savent que leur fortune propre est en jeu. Ils ne vont donc pas se laisser entraîner de façon inconsidérée dans des domaines à haut risque.

De plus ce n'est pas l'Etat qui viendrait à leur secours. En conséquence ils se comportent de manière responsable...

Matthias-Leonhard Lang, directeur de la filiale lausannoise de la Kredietbank, souligne quant à lui l'effet pervers de taux bas :

Le noyau du problème était que dans un environnement de taux d'intérêt bas et face à une clientèle assoiffée des rendements historiques une prise de risque non contrôlée fut engagée par certains banquiers peu scrupuleux où la substance était rarement au rendez-vous.

Lang pense que :

Le secret bancaire, pour la Suisse, n'est pas l'avantage comparatif unique ou essentiel. L'avantage comparatif en Suisse, ce sont les institutions, l'histoire et la démocratie directe (...). En Suisse, les banques veulent pouvoir évoluer et ne pas se cacher derrière le secret bancaire, tout en ne se faisant pas dicter leur code de conduite par des pamphlétaires.

Christophe Reymond, directeur du Centre Patronal, fait cette remarque judicieuse :

Les champions de la démocratie actionnariale oublient trop souvent de dire que les investisseurs en bourse ont les yeux rivés sur la valeur de leur titre; et que ce sont bien plutôt les administrateurs et les dirigeants qui portent le souci de la qualité du produit ou du service - et donc du devenir de l'entreprise.

Ce qui ne l'empêche pas d'être tout aussi sensé à propos des rémunérations de ces derniers :  


Une bonne politique salariale devrait éviter des écarts de salaires trop importants et inutilement choquants; et quelles que soient leurs compétences et leurs reponsabilités , les grands directeurs ne sont pas des surhommes (...). Quant au système des parachutes dorés, il est, sauf rares circonstances, très critiquable. Tout emploi comporte une part de risque et lorsque le traitement de base est particulièrement élevé, le risque en question est déjà pris en compte.

Michel Dérobert est Secrétaire général de l'Association des banquiers privés suisses. Il rappelle que la banque privée n'est pas une sinécure :

Dans la banque privée, à laquelle on mène souvent la vie dure, il existe une symétrie absolue entre les risques et les pertes. En d'autres termes, si le client gagne, le banquier gagne, et s'il perd, le banquier perd lui aussi. Mais l'Etat lui-même ne pratique pas cette politique puisque, quoi qu'il advienne, il récolte ses impôts sur tous les revenus de la banque, y compris les revenus réinvestis et les fonds propres exigés par la loi.

Dérobert explique que le secret bancaire correspond à la mentalité suisse. En Suisse :

Le citoyen déclare tous ses revenus et sa fortune de manière bien plus détaillée que dans beaucoup de pays européens (...). Le système fonctionne sur la bonne foi, donc si vous omettez de déclarer quelque chose, vous êtes passibles d'amende. Mais l'Etat n'a pas les moyens, car le peuple ne les lui a pas donnés, d'aller regarder lui-même. C'est un petit peu paysan : taxez-moi sur ce que vous voyez, mais n'entrez pas chez moi (...).

Mais l'Etat a tout de même réussi à se garantir quelques moyens tels que la retenue à la source ou l'impôt anticipé, qui est parfois très élevé suivant les cantons. Donc le système vous amène à déclarer pour récupérer votre avance.

Le dernier interlocuteur est Alain Berset, socialiste, Conseiller aux Etats du canton de Fribourg. L'internaute ne sera pas surpris qu'il s'en prenne aux hautes rémunérations et qu'il soit favorable à un changement du système de rémunération qui tiendrait compte du profit sur une plus longue période que celle d'une année.

L'internaute ne sera pas non plus surpris qu'Alain Berset défende mollement le secret bancaire :

Je fais partie des gens qui pensent que le secret bancaire a probablement été survendu, et que ce qui est essentiel, c'est l'image de la place financière suisse, et cette image ne dépend pas seulement du secret bancaire. C'est une image construite autour des compétences, de la discrétion, du fonctionnement prévisible des institutions.

Il est encore plus sceptique quand il pose la question :

Est-ce le rôle de la Suisse, qui a longtemps bénéficié sur la scène internationale d'une image de pondération, de promotrice de la la paix, que d'offrir un refuge à celles et à ceux qui cherchent à se soustraire aux lois de leurs pays ?

Même quand elles sont abusives ?

Quoi qu'il en soit, la lecture de ce livre permet de se faire une idée assez juste de la mentalité helvétique dans sa diversité. C'est bien évidemment dû à la diversité des intervenants et des points de vue où ils se placent.

Il en ressort que les banques suisses gardent de gros atouts, secret bancaire ou pas - le secret bancaire restant cependant un garant essentiel du respect de la sphère privée que la Suisse devrait défendre âprement - et que les Etats-Unis, en s'attaquant aux banques suisses, ne font que mener une guerre économique, qui n'a aucun rapport avec la moralité qu'ils mettent en avant, mais un grand rapport avec la défense sans scrupules de leurs intérêts bien compris.

Il faut espérer que les extraits de ce livre, reproduits ci-dessus, inciteront l'internaute, intéressé par la question de l'existence de la banque suisse, à plonger dans ce livre fort instructif, sans être le moins du monde rébarbatif, en dépit du sujet.

Francis Richard

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