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L’œil du corbeau, noir, vide

Par Rose

Il y a quelques années, le vendredi soir, Sophie Loubière rejoignait des personnalités dans un restaurant de leur choix et recevait leurs « confidences à la carte » sur l’antenne de France Inter. On entendait le cliquetis des couverts, le brouhaha des conversations derrière les dîneurs qui nous racontaient leurs plats, et aussi leurs carrières. C’était intime et souvent passionnant.
corbeauAussi me suis-je plongée avec enthousiasme « Dans l’œil noir du corbeau », le dernier polar de Sophie Loubière, qui proposait un cocktail appétissant. Des personnages inspirés des romans noirs : un ancien inspecteur alcoolique au passé trouble, une femme qui passe à côté de sa vie, belle mais borderline. Une ville mystérieuse, San Francisco, pleine de réminiscences cinématographiques (la forêt de Vertigo). Un premier amour indéfiniment attendu, avec le souvenir duquel on n’arrive pas à rompre. L’eau à la bouche amenée par des évocations culinaires, dans la tradition encore des enquêteurs gastronomes, pour lesquels un plat longuement mijoté vient quelque peu adoucir les ravages de leur lucidité.
Malheureusement, tous ces bons ingrédients donnent au final un roman honnête, mais un peu indigeste : certes, on suit avec intérêt l’évolution des relations entre le flic usé et la présentatrice de fiches cuisine partie en Californie sur les traces de Daniel, son grand amour. La cooking goddess dont Bill Rainbow ne rate aucune émission se trouve un jour en chair et en os à la porte de son house-boat, et il accepte de reprendre du service en échange d’un inoubliable réveillon de Noël concocté par son French cordon bleu. Une bouffée d’espoir et d’euphorie dans les cœurs de ces êtres en plein désarroi… De plus Daniel est mort et l’enquête sur l’amant idéal réserve son lot de rebondissements, de retournements de situation.
Mais tout de même le roman souffre d’un manque de rythme certain. Le récit alterne avec une régularité de métronome les courts chapitres consacrés à Bill et ceux consacrés à Anne. Ceux-ci fourmillent de détails qui parfois se révèlent significatifs par la suite, mais qui donnent un rythme ronronnant à l’intrigue, d’autant que les véritables scènes d’action sont rares, la plupart des chapitres épousant plutôt les pensées des personnages ou recueillant leurs souvenirs. Cette abondance de détails devient bourrative lorsque les deux gourmets se mettent en quête des ingrédients de leur festin de Noël. Nous voilà embarqués dans une balade touristique et culinaire dans San Francisco et ses environs, et le texte se fait alors plus informatif qu’évocateur. Ce qui me plaît dans les scènes de repas romanesques, c’est qu’elles participent à une ambiance, accompagnent un temps fort de l’action (le repas fin de La Curée par exemple, ou les repas dans les romans de Queneau). Ici le repas est ce à quoi se raccrochent les deux désespérés, et Dieu sait si Anne en particulier entretient un rapport compliqué avec la nourriture ; mais dans certains chapitres le guide gastronomique prend le pas sur l’intrigue, et le procédé prend un caractère systématique qui m’a lassée.
En bref, je n’ai pas réussi à croire à ces personnages et à ce projet gargantuesque, qui tient un peu trop, pour moi, de l’exercice de style. Ce qui ne m’empêchera pas de souhaiter le retour de cette émission de confidences, légère et ludique, ou d’écouter les « parkings » radiophoniques (avant la plage ou la nuit) sur lesquels on retrouve plus couramment l’animatrice.
Merci à Blog-O-Book et aux éditions du Cherche-Midi pour cet envoi gastronomique.

Une chanson qui aurait pu inspirer la narratrice :


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