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Banquosaurus rex

Publié le 26 mai 2009 par Marcaragon
Banquosaurus rex D'abord les banques, épicentres de la dévastation, sans qui rien n’est possible ! Une fois de plus, les maîtres-artificiers de la haute finance, qui n’ignorent rien des règles de l’assaut mais tout de celles de la retraite, mirent le feu aux affaires, jusque sous leurs propres pieds, et la planète entière s’empoisonna d’actifs toxiques devenus fumées. Le sauvetage des incendiaires mobilisa les autorités, c’est-à-dire le contribuable après que les fonds souverainsFonds souverains (…) Les fonds souverains, qualifiés de « caisses noires » par Simon Johnson, économiste en chef au FMI, sont bien décidés à troquer leurs oripeaux de parvenus contre de vrais habits de lumière. Une étude Natixis évaluait leur poids à 3.355 milliards de dollars à fin 2007, et leur épaisseur financière entre 12.000 et 15.000 milliards à l’horizon 2015 : les titans montent en puissance. Voilà bien de quoi effrayer le Landerneau financier, quoique celui-ci, américain pour l'essentiel, n’ait pas dédaigné la manne qui s'est abattue sur ses banques, comptées debout, depuis mi-2007 : soixante milliards de dollars, au mieux compté (…) , un temps alléchés et qui avaient déjà mis lourd, eurent minaudé leur participation : nationalisations à l’anglaise, garanties à la française, recapitalisations à l’américaine, vice-versa et réciproquement. La puissance étasunienne notamment se déchaîna : le 19 septembre 2008, après avoir lâché Lehman Brothers et déclenché la foudre, « Janus » Paulson, en fin de contrat au Trésor, annonça en toute hâte un plan républicain de rédemption : 700 milliards de dollars, pour commencer ! Le FMI, reconverti à la statistique, se piqua aussitôt de rappeler celle-ci : depuis 1970, 42 crises financières ont coûté en moyenne 16% du PIB aux 37 pays tentant de contenir les crises bancaires systémiques 1. Une ancienne tradition, en somme. La panique des banquiers en 1907 étrenna l'instinct de mort des argentiers de Wall Street, et ce biais devint chronique. John Pierpont Morgan, figure de la banque universelle apaisa, dit-on, cette première ruine financière de l’ère moderne en invoquant le clergé local 2 : il ne dénoua cependant pas, à supposer même qu’il l’eût désiré, les multiples conflits d'intérêtBancanalystes L’élan dérégulateur des années 1980 vaincra finalement le vieux Glass-Steagall Act qui avait jadis séparé les banques de dépôt des banques d’investissement. Cette liberté retrouvée fera sauter un autre bouchon, la muraille de Chine, sas coupe-feu entre les analystes financiers et les banquiers d’affaires. Au sein d’une même compagnie, les premiers évaluent les sociétés pour conseiller leurs clients fortunés, les seconds négocient des placements de titres. Pas facile alors de décrier une entreprise susceptible de vous confier une opération de fusion/acquisition lucrative ! La dérégulation rendit tout plus possible. La planète média rendit tout plus facile. Tout devint plus perméable. Le pire n’allait plus tarder. (…)  qui gangrénaient déjà ces supermarchés de la finance. En 1927, le Mac Fadden Act tenta bien de limiter les premiers scandales en interdisant aux banques américaines de créer des filiales hors de leur Etat d’origine. Mais rien ne put retenir le torrent d’euphorie qui baignait ces temps. Quelques milliers de banques au tapis plus tard, le Glass Steagall Act de 1933 séparera les établissements commerciaux, spécialisés dans les activités de crédit et de dépôts, des banques d’affaires, destinées aux activités financières. Morgan Stanley, firme d’investissement, naquit ainsi de JP Morgan en 1935. Vingt années passèrent. En 1956, les autorités américaines crurent bon de renforcer la réglementation avec le Bank Holding Company Act afin de colmater les fissures que la modernité juridique faisait naître. Mais un banquosaure centenaire veillait : en 1961, Citibank promouvra un instrument financier nouveau, le certificat de dépôt négociable, qui dans les faits contournait le Glass Steagall Act 3. Le ver revenait dans la pomme. De nouveaux produits firent alors florès 3-1, qui surent se rendre essentiels, et cette veine irrigua bientôt de nouveaux marchés, qui s’interconnectèrent. Nécessité fit loi : petit à petit, le mikado financier s’éleva, et nul n’imagina plus rien débâtir qui ne risquât de tout ébranler. En mai 1975, New York décloisonna Wall Street, imité dix ans plus tard par Londres. En 1980, la Bankers Trust obtint de la Fed le droit de garantir des titres d’emprunt à court terme. En 1987, Alan Greenspan se laissa pieusement convaincre par JP Morgan d’une faille dans le Glass Steagall Act pour autoriser les banques commerciales à participer à des émissions d’actions 4. De fil en aiguille, d’exemptions en dérogations, ces dernières finirent par regagner le terrain concédé au législateur, selon la conception élastique de l’expression « exerçant principalement ». Les maisons de titres devinrent la proie des titans de l’espèce : en avril 1998, le mâle alpha Citibank, filiale de Citicorp depuis 1974, devint Citigroup au prix d’une fusion avec Travelers évaluée à 83 milliards de dollars 5. Le vieille résolution n’y survécut pas : dès l’année suivante, le Gramm-Leach-Bliley Act acheva d’ouvrir la porte de Wall Street aux banques de dépôts. Comble d’ironie, Phil Gramm, cosignataire de la loi, vice-présida peu après UBS 6, la rolls des banques suisses, qui aura déprécié quelque 47 milliards de dollars d’actifs depuis le début de la crise 7 ! Banquosaurus rex ! Voici Citigroup, fille ainée d’un lobbying bancaire chantant les louanges du Marché, garantissant l’efficience du guichet unique et la réduction des coûts à tous les étages des bureaux de Park Avenue, magnifiant la concurrence faiseuse du bien social, dispersant le risque grâce à la diversification des activités. Ce bel canto, repris en chœur par des ténors endimanchés oublieux de l’Histoire, porta le génie financier du titan américain jusqu’à la première capitalisation boursière de la planète, à près de 300 milliards de dollars : quelque 200 millions de clients dans le monde, présente dans 106 pays – dont 427 filiales dans des paradis fiscaux 8 -, 352.000 salariés dans ses livres, et ainsi de suite. Un tel maquis ne favorisa cependant pas l’avènement de la bonne pratique, mais renouvela plus sûrement les errements passés de la banque universelle, notamment les conflits d’intérêt 9. La malepeste hypothécaireSubprime : risque majeur ? Côté cour, des équations, longues comme un jour sans pain, qui s’échinent à décrire des mondes enchantés où l’homme figure à peine, esquissé au crayon et dans la marge ; côté jardin, la haute finance, attentive, qui excelle dans l’art d'animer les équations qu’on aura formulées, c’est-à-dire d’y trouver le prétexte à sa quête incessante du gain. Ainsi irait le Marché, dit-on, univers de papier, empli d'évidences, mené par une mathématique bienveillante ! Las, voilà qu'en son centre étasunien, une affaire envenime toutes les autres : des prêts immobiliers mal garantis - « subprime » -, que l'on se plaît à minorer, dégénèrent, et menacent d'infecter à l'entour (…)  knock-outa le géant, remit les pendules à l’heure et les bénéfices au trente-sixième dessous : les premières recapitalisations privées, fin 2007, à hauteur de 20 milliards de dollars ne suffirent pas ; le 23 novembre 2008, le gouvernement américain annonça un plan d’ampleur pour soutenir le Nabucco de la banque : 306 milliards de dollars de garantie sur des actifs risqués, et 20 milliards supplémentaires en capital. Soit autant que l’actuelle capitalisation. Le roi est nu. « Infectious greed », le contagieux appât du gain, de la bouche même d’Alan Greenspan ! Ainsi n’aura-t-il pas fallu dix ans pour que l’Histoire rappelle aux brillants idéologues du Marché quelques constantes universelles sur la nature humaine et leurs effets pratiques sur le terrain. Tant d’acharnement pour déconstruire le Glass Steagall Act, ce vestige vermoulu 10, et moins d’une décennie pour que sa figure de proue, Citigroup, revienne téter la mamma étatiqueLa main (in)visible (…) Au sortir des années 1970, la crise de la dette du tiers-monde sévit, l’inflation galope et les plus grandes banques vacillent : en particulier la Continental Illinois, septième banque américaine de dépôt, acclamée par la presse, qui agonise ; l’administration Reagan, mieux connue pour sa dévotion au Marché, sortira de sa Réserve près de 5 milliards de dollars, et remettra au pot pour désengluer une quarantaine d’établissements. L’aléa de moralité, garantie qui procède du secours miraculeux de l’Etat, prend ainsi souvent la forme d’injection d’argent public. Une politique monétaire expansionniste est une autre variante pour sortir des crises financières (…)  et tâter sa main invisible. Retour au point zéro : le banquosaure redevient Citicorp et s’invente une Citi Holdings pour optimiser sa structure 11, c’est-à-dire enfumer sa piste. D’autres banques américaines, moins chanceuses quoiqu’admirables 12, burent aussi la tasse, toutes nourries à la déréglementation des systèmes financiers, exonérées des contrôles les plus communs, jusqu’à l’accident. Tout semble se passer comme si la pensée monozygote des grands clercs de la finance n’avait retenu de la crise de 1929 que la nécessité d’injecter des liquidités quand le système dérape 13, au mépris de toute autre vue. Bah, une poignée d’hommes hors du commun mènent le bal : John Thain, Henry Paulson, Stephen Friedman, Robert Rubin, Duncan Niederauer, tous anciens et/ou futurs dirigeants de Goldman Sachs ou de Bank Of America, de Citigroup ou Merrill Lynch, présidents du Nyse ou secrétaires d’Etat au Trésor. Ayez confiance !   « Il y a seulement une quinzaine d'années, l'économie américaine, menacée d'asphyxie financière, semblait condamnée à une croissance médiocre. Elle est aujourd'hui, de toutes les grandes économies développées, celle dont le potentiel de croissance est le plus élevé et le système financier le plus solide : l'Europe a, peut-être, des enseignements à en tirer 14 ». D’Anton Brender (2004), grand admirateur semble-t-il du libéralisme américain, scientifique de la cause, lui-même chef économiste chez Dexia Asset Management, laquelle banque ne dut son salut qu’à l’action des Etats, européens ceux-là. Et les nouveaux banquosaures sont de Chine.       (1) Courrier International, du 25/09 au 01/10/2008, rapportant The Economist - « Sauvetage : l’exception suédoise »   « Une étude de deux économistes du FMI, Luc Laeven et Fabian Valencia, montre que, après les mesures d’urgence, les USA finissent toujours par mettre en œuvre un plan global financé par les fonds publics. Selon cette étude portant sur 42 crises financières dans 37 pays depuis 1970, ‘ ces tentatives gouvernementales de contenir les crises bancaires systémiques au cours des trois dernières décennies ont coûté en moyenne 16% du PIB ‘, rapporte The Economist … »   (2) John Galbraith (1992) - « Brève histoire de l’euphorie financière »(3) Textes réunis par Martine Azuelos (1995) - « La déréglementation des économies anglo-saxonnes »   NOWs - Negotiable Order of Withdrawal MMFs – Money Market Funds RUFs – Revolving Underwriting Facilities MOFs – Multiple Option Facilities …   (4) Les Echos, le 20/09/2008 - « Splendeurs et misères des établissements d’investissement »   « (…) Après la Seconde Guerre mondiale, la frontière devint plus poreuse. Et en 1987, la Fed se laisse convaincre de s’appuyer sur une lacune de la section 20 du Glass Steagall Act pour permettre aux grandes banques commerciales (...) de participer à des émissions de titres. ‘ Ces banques souhaitaient rentre dans ce métier de l’underwriting. En juillet 1988, la Cour suprême a validé cette décision ’ (…). Cela profitera à des groupes comme Citigroup ou JP Morgan … »   (5) Etudes économiques de l’OCDE (1999) (6) Le Devoir.com, le 04/06/2008 - « Visite d’Alan Greenspan à Montréal. Est-ce la fin des banques centrales ? » (7) MoneyWeek, le 19/03/2009 - « UBS, grandeur et décadence »   « Dans sa stratégie offensive, UBS s'était ruée sur les produits titrisés sans même avoir pris le temps, apparemment, de lire la notice. (…) La note est lourde (…) portant le total des dépréciations depuis le début de la crise financière à 46,9 milliards de dollars (…) A l'automne 2008, UBS dut affronter un scandale venant des Etats-Unis. L'un des cadres de la banque, Bradley Charles Birkenfeld, a dénoncé 19.000 noms de clients aux autorités américaines qui le poursuivaient pour des délits fiscaux. Le fisc américain s'estime lésé de la bagatelle de 20 milliards de dollars (…) La réputation de la banque en a irrémédiablement souffert : les clients ont retiré pour l'équivalent de 226 milliards de francs suisses de dépôts (…). Enfin, UBS se retrouve au coeur de l'affaire Madoff, étant dépositaire de trois fonds luxembourgeois investis auprès du voleur le plus célèbre de la planète (…) Malgré les protestations légitimes de la classe politique, des actionnaires et des clients, la banque suisse, qui vient de publier une perte nette annuelle 2008 de 13 milliards d’euros, va malgré tout verser un bonus de 1,8 milliard de francs suisses à ses salariés ».   (8) La Tribune, le 04/03/2009 - « Quelques chiffres clés » (9) Le Monde, le 25/11/2008 - « Washington sauve dans l’urgence le géant Citigroup »   « (…) La structure hétéroclite et dispersée permet [à l’équipe dirigeante] de cacher aux contrôleurs de risques l’ampleur des positions de Citigroup aux dérivés de crédit. L’organisation est une machine à gaz cauchemardesque et ramifiée, dotée par exemple d’une douzaine de systèmes informatiques différents. Les conflits d’intérêt abondent. Le responsable du trading et son collègue chargé du contrôle des risques sont des inséparables qui, chaque week-end, vont pêcher à la mouche dans le même club du New Jersey. Pas étonnant dans ces conditions que les rappels à l’ordre du régulateur sur les lacunes des systèmes internes de supervision restent lettre morte ».   (10) La Tribune, le 09/10/2008 - « Alan Greenspan en procès » (11) Yahoo Finance, le 16/01/2009 - « Citigroup se redresse un peu après les pertes et l’annonce de la scission »   « (…) Citigroup, dans un contexte d'aversion au risque exacerbé, va se séparer en deux entités distinctes, Citicorp et Citi Holdings, afin d'optimiser sa structure. Alors que Citi Holdings s'affiche comme un regroupement d'activités sans liens directs évidents, Citicorp isole pour l'essentiel le métier de banque universelle, au travers de deux sous-segments, la banque institutionnelle globale (avec de la banque d'investissement recentrée et affichant un moindre profil de risque, les services transactionnels et la banque privée), et le segment banque de détail (activités cartes, banque régionale consommateurs et commerciale en US, Asie, Amérique Latine...) ». Ndla : retour donc au Glass Steagall Act !   (12) Le magazine Fortune désigna Bear Stearns en 2005 et Lehman Brothers en 2007 comme World’s Most Admired Companies (13) Didier Saint-Georges (2008) - « Le libéralisme est une chose morale »(14) Anton Brender / Florence Pisani (2004) - « La nouvelle économie américaine »     Illustration : Banquosaurus Rex

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