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"Enter the void" de Gaspard Noé, psychédélique et poétique trash

Par Vierasouto

Comme par miracle, le dimanche du palmarès à Cannes, la projection de rattrapage démarrant vers 14h30, on a fait passer quelques cinéphiles, j'ai pu donc voir "Enter the void" ("Soudain le vide"), le film de Gaspard Noé présenté en séance unique le vendredi, le film qui a fait fuir les spectateurs, ironisé les critiques ciné mais l'avis du "Nice-matin" et du "Figaro" (seuls journaux qu'on donne dans les hôtels) n'ont pas suffi à me décourager... Heureusement... J'ai immédiatement aimé ce film captivant dès la première image, sans jouer les pro, avec  le temps, on sait immédiatement dès les premières images si on va aimer un film. Un film psychédélique assez seventies upgradé années 2000, matiné d'une poétique plutôt naïve et habillé d'une esthétique trash  qui a sans doute rebuté. Mais le milieu des junkies est-il clean? La tentative de Gaspard Noé d'occuper l'espace mental de son héros le plus souvent en caméra subjective, un peu comme Mendoza dans "Kinatay" (Prix de la mise en scène au Palmarès 2009) décrit le cauchemar intérieur du jeune policier embringué dans une expédition punitive, seconde partie du film qui a choqué car, comme on l'a entendu dire "on n'y voit rien"!!!, donne un cinéma des sensations et non plus un cinéma des émotions, souvent complaisantes, voire tire-larmes, auquel chacun peut s'identifier.
Le film est construit en flash-backs entremêlés, en flashes de la mémoire percutant l'âme d'un junkie qui vient d'être abattu par la police. Oscar, un jeune junkie français habitant à Tokyo se gave de drogues les plus fortes, devenu dealer pour payer sa drogue et faire venir sa soeur Linda de Paris dont on verra plus tard qu'ils sont tous les deux des orphelins depuis l'accident de voiture qui a tué leurs parents. En allant livrer de la drogue à un copain/client, Oscar tombe dans un piège et est abattu dans les toilettes d'une boite sordide "The Void". Quand Oscar est tiré comme un lapin dans les toilettes crades du "Void", il est filmé mort en position foetale, une très belle image récurrente même si l'esthétique est trash mais les junkies rodent-ils dans des endroits clean avec papier à fleurettes pour leurs deals minables quand ils sont en manque? Depuis cet instant, on revoit des pans de la vie d'Oscar qui semblent être les réminiscences de la mémoire d'un mort, Oscar mort se souvient, c'est une manière d'ammener les flash-backs d'autant plus poétique que le meilleur ami d'Oscar lui a donné "Le Livres des morts" (des tibétains) à lire qui raconte la lumière et les halos que les âmes rencontrent en passant de la vie à la mort. D'où ces écrans blanc, jaunes, éblouissants, psychédéliques correspondant au passage ultime. Des écrans scintillants que le réalisateur utilise aussi en insert pour décrire les badtrips, les trips tout court des consommateurs de drogue. Mais plus déroutant que ces inserts franchement psychédéliques, avant sa mort, voire dans certaines séquences de souvenirs correspondant à la même période de consommation de drogues, Oscar est filmé en caméra subjective comme à l'intérieur de son esprit embrumé,  entendant la voix de ses interlocuteurs déformée comme dans un écho désagréable, en plein trip avec toutes les sensations modifiées (c'est cela que le réalisateur veut montrer) ; après sa mort, Oscar est filmé le plus souvent de dos, fantôme qui se souvient, témoin de sa propre vie (ce qui a déplu...)...

 
En agonisant, en passant de la vie à la mort, Oscar se souvient le plus qu'il peut pour ne pas abandonner sa soeur Linda à qui il en a fait la promesse : de leur enfance, de leurs parents, de l'accident de voiture dont on les a extraits enfants (un choc violent assourdissant qui fait sursauter le spectateur à la mesure du choc de perdre ses parents d'une minute à l'autre) qui les a laissé orphelins, de ses cauchemars sur l'accident de voiture. Ensuite, on a séparé Oscar et Linda, chacun a été envoyé dans un orphelinat... Oscar se souvient des demandes anxieuses de Linda depuis l'enfance de ce qu'elle deviendrait s'il mourrait, à qui il a promis de ne jamais la quitter même après sa mort... Oscar se souvient de l'arrivée de Linda à Tokyo qui trouve un boulot de strip-teaseuse dans un club minable, maquée avec le patron japonais qui l'aime bien à sa manière, c'est ainsi qu'on la découvre, couchant avec son patron dans sa loge en tenue dévêtue de travail, des talons roses géants phalliques aux pieds, droguée elle aussi, tandis que son téléphone portable sonne dans le vide pour lui annoncer la mort de son frère, le sexe et la mort, toujours...

Les scènes d'Oscar et Linda enfants, adolescents, filmées de manière beaucoup plus classique dans une lumière soleil passé de photo un peu jaunie (les autres scènes étant teintées de couleurs fortes et violentes, rouge, violacé, bleu, noir) , sont d'une poétique presque naïve, seuls instants d'amour et de confiance, ils sont accompagnés systématiquement d'une musique de Bach (je pense) proche du concerto d'Albinoni. Car c'est d'une histoire d'amour qu'il s'agit, fut-elle fusionnelle et quasi-incestueuse, l'histoire de deux enfants orphelins seuls au monde qui se détruisent animés par un seul désir : être ensemble, se réunir après qu'on les ait séparés de force à la mort de leurs parents. Bien entendu, le fossé entre l'univers complaisamment glauque  d'Oscar et Linda à Tokyo et la lumière de leurs souvenirs d'enfance (lumière froide, pâlie d'une enfance de plus en plus lointaine) est exagéré. Très stylisé, presque caricaturé, le film ne cherche pas à être réaliste mais à opposer deux mondes de sensations, au moyen d'une esthétique trash, cauchemardesque, "badtripesque", le projet du film semble être que que le spectateur partage la perception mentale d'Oscar de l'intérieur, en cela, le film peut-être qualifié d' expérimental, comme je l'ai entendu à Cannes par les mieux intentionnés qui s'étaient donné la peine de décoder l'univers de "Soudain le vide", le titre est pourtant on ne peu plus clair, si j'ose dire...
J'ai aimé ce film innovant et kamikaze même si tout est trop démonstratif, qu'on sent trop cette volonté de faire partager au spectateur les sensations, les cauchemars, les trips sous acides divers avec des moyens un peu artificiels mais la démarche est sincère, celle d'un cinéaste qui veut dépasser l'image, montrer l'immontrable, l'impalpable, le nirvana chimique mortel, en deux mots, tenter de faire comprendre, partager la défonce d'un junkie, sa soif insatitiable et suicidaire d'extase et d'inconnu et quoi de plus inconnu que la mort ("La mort est le trip ultime" dit le copain d'Oscar)?


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