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L'amour est aveugle, le cinéma d'Almodovar, lumineux...

Publié le 29 mai 2009 par Boustoune

Pas évident de se renouveler quand on est un cinéaste reconnu et adulé. Le public s'attend toujours à retrouver tous les ingrédients qui ont fait le charme, la magie de ses oeuvres précédentes, ce qui peut l'inciter à réaliser toujours le même genre de film et à s'enfermer peu à peu dans une sorte de carcan cinématographique. Mais dans le même temps, le public désire être surpris et s'attend à une pointe d'originalité, une évolution dans les thématiques ou la technique...

Un vrai casse-tête, une gageure que seul un cercle très fermé de cinéastes parvient à relever en maintenant un niveau de qualité artistique constant.

Pedro Almodovar en fait partie. Le metteur en scène espagnol a eu le génie d'arriver à faire prendre des virages remarqués à sa filmographie sans jamais se départir de son style ni de son inspiration. Débutant avec des comédies fantasques, pour ne pas dire déjantées, qui lui ont valu de devenir le chantre de la «Movida» (1), il est passé avec bonheur au mélodrame flamboyant, puis à des films aux thématiques plus sombres, plus graves, qu'il décline sur le mode dramatique (La mauvaise éducation) ou comique (Volver).

Mais avec Les étreintes brisées, Almodovar semble avoir eu besoin de faire une pause et de se lancer non pas dans l’innovation, mais au contraire un retour en arrière sur l’ensemble de son œuvre. Il livre ici un film-somme qui concentre toutes ses thématiques habituelles et qui revisite ses anciens films. Un véritable «testament» cinématographique…

Rassurez-vous, le cinéaste espagnol n’est pas mourant. Mais il souffre de graves céphalées qui lui imposent désormais de rester au repos dans l’obscurité pendant de longues périodes, l’empêchant de sortir de chez lui, d’écrire ou de regarder des films…

De cette obscurité, il a inventé une pure trame mélodramatique dont le héros, Harry Caine (2), est un scénariste… aveugle…

L’homme est assez mystérieux et parle peu de son passé. Mais, l’annonce de la mort d'Ernesto Martel, un richissime industriel va raviver des souvenirs douloureux et l’inciter à raconter toute son histoire à Diego, un jeune homme qui fait office de secrétaire, de guide et de co-scénariste.

Le drame a eu lieu quinze ans auparavant. Harry s'appelait alors Mateo Blanco. Il avait encore l'usage de la vue et préparait un film en tant que réalisateur, «Chicas y maletas» (3). Pour le rôle principal il avait engagé Lena une belle actrice débutante, dont il est vite tombé amoureux. Mais la jeune femme était l'épouse d'un Ernesto particulièrement possessif...

 

 

Il s'agit donc d'une de ces histoires d'amour complexes comme Almodovar les affectionne, sur laquelle il greffe ses obsessions habituelles : les ravages de la passion amoureuse, de la jalousie, de la perte d'un être cher, le trouble identitaire,…

Mais il s’agit surtout d’une déclaration d’amour au Cinéma, à travers des hommages aux films de chevet d’Almodovar : La dualité Harry Caine/Mateo Blanco et la trame aux accents de thriller rappellent évidemment les grands films hitchcockiens. La coiffure de Penelope Cruz évoque celles portées par Audrey Hepburn dans les années 1950. Et plusieurs références sont faites au film de Rossellini, Voyage en Italie

 

Pedro Almodovar rend aussi hommage à tous ceux qui font le cinéma, grâce à ses scènes sur les plateaux de tournage, dans les loges, à la réalisation d’un making-of ou à cet amusant brainstorming entre Harry et Diego pour l’élaboration du script d’un film de vampires (au passage, le vampirisme est un symbole de passion dévorante…)…

Enfin, le cinéaste espagnol propose une animation ludique autour de ses propres films, un puzzle que le cinéphile est invité à reconstituer. Son œuvre sert de « fil rouge » à l’histoire, à l’instar de cette voiture rouge que conduisit déjà Penelope Cruz dans Volver et qui était présente dans Attache-moi. Les acteurs sont des habitués de l’univers d’Almodovar et renvoient forcément à ses œuvres passées, d’autant que les thématiques abordées sont elles aussi des constantes.

La plupart des scènes ont donc un petit côté « déjà-vu » pas désagréable pour qui se prêtera au jeu. Le procédé culmine avec la reconstitution d’une scène entière de Femmes au bord de la crise de nerfs, ou Penelope Cruz reprend avec délice le rôle jadis tenu par Carmen Maura.

Reposant sur la mise en scène toujours magistrale de Pedro Almodovar, et sur un casting impeccable, l’œuvre devrait nous enthousiasmer, nous transporter. Pourtant, ces Etreintes brisées sont étrangement dénuées d’émotion. On a l’impression de voir une œuvre à la beauté froide et figée. Un comble pour un cinéaste dont le style déborde d’ordinaire de chaleur et de passion, et une déception pour le spectateur attendant avec impatience toute nouvelle œuvre du maître.

 

Evidemment, il convient de relativiser cette déception. Même mineur, un film d’Almodovar s’élève nettement au-dessus de la moyenne, et celui-ci ne déroge pas à la règle. On peut même y trouver des scènes franchement réussies.

Il y a par exemple cette séquence où Ernesto visionne les images muettes filmées à l’insu de sa femme, tentant de lire sur ses lèvres la preuve de son infidélité. Lina le surprend et effectue elle-même le doublage de la scène, assumant pleinement l’amour qu’elle éprouve pour Mateo.

Les étreintes brisées n’est pas le meilleur film d’Almodovar, loin de là, mais il recèle donc quelques moments réussis et se laisse voir avec plaisir. Il marque aussi une évolution dans ses rapports aux personnages, le personnage masculin étant autant mis en avant que les personnages féminins si typiques de l’œuvre du cinéaste. Evidemment, les actrices sont quand même un peu plus mises en valeur, notamment Penelope Cruz, décidément sublimée par le cinéaste espagnol.

En bref, si on n’a pas l’ivresse, le flacon est rudement joli…

Note :

Étoile
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(1) : Movida : mouvement culturel et créatif espagnol, né à Madrid au début des années 1980, après la mort du général Franco. Le retour à la démocratie a libéré le génie créatif des auteurs et a donné lieu à des œuvres exubérantes et pleines d’énergie.

(2) : Sûrement un jeu de mot avec « Hurricane » (ouragan), pour bien montrer la force dévastatrice de la passion amoureuse.

(3) : « des filles et des valises », en version française




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