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Kiss me deadly

Publié le 23 février 2007 par Eric Viennot

Kissmedeadly01_1 Petite parenthèse cinéma à l’heure où vient de sortir le nouveau David Lynch.
Parmi les cinéastes contemporains, Lynch est sans doute celui qui s’approche au plus près des modes narratifs déployés par certains créateurs de jeux vidéo : récit non linéaire, voire totalement éclaté, recours aux flashbacks, changements de points de vue, mélange des genres… On pourrait presque évoquer à son sujet le terme de narration émergente très en vogue depuis quelques années dans le monde du jeu vidéo. D’ailleurs, à voir la façon dont Lynch se sert d’Internet pour compléter son travail, et maintenant qu’il tourne en numérique, je ne serai pas étonné qu’il nous ponde d’ici quelques années un ARG* d’un nouveau genre.
A propos de Lynch et pour ceux qui s’intéressent à son œuvre et à son « décryptage », j’ai revu il y a quelques semaines Kiss me deadly (traduit en français par En quatrième vitesse). Ce film célèbre de Robert Aldrich date de 1955. Il possède une liberté de ton rare pour l’époque et une qualité formelle exceptionnelle. Il intègre tous les ingrédients du film noir (meurtres à la chaîne, détective bourru et blasé, femmes fatales, bagarres et durs à cuire, amitiés viriles…) mais il dépasse ces éléments codifiés pour perdre le spectateur dans une enquête labyrinthique à la limite du fantastique.

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Comme chez Lynch, on a l’impression, dès les premiers plans, d’entrer dans un récit cauchemardesque où la réalité sans cesse se dérobe. Kiss me deadly possède d’ailleurs l’une des scènes les plus effrayantes du cinéma : derrière le héros inconscient, allongé au premier plan (le détective Mike Hammer créé par Mickey Spillane), on aperçoit furtivement deux jambes de femme qui s'agitent dans le vide, suspendues au dessus du sol. Les cris horribles de la bande son nous laissent imaginer, sans qu’on nous les montre, les tortures subies par la jeune femme. Comme Lynch, Aldrich joue avec notre inconscient. Ces jambes se balançant au dessus du sol nous renvoient à ces visions d’animaux écorchés ou d’êtres suppliciés qu’on a tous dans notre mémoire visuelle.
Kiss me Deadly est rempli de ce genre d’images fortes et symboliques qui peuplent nos cauchemars. Lynch est un fervent admirateur d’Aldrich. Il est probable que l’explosion finale de Lost Highway et la fameuse boite noire de Mulholland Drive soient des réminiscences explicites du film de son aîné.
Pour beaucoup d’amateurs de films noirs, Kiss me deadly est devenu une oeuvre culte. De plus en plus galvaudé, ce qualificatif est ici pleinement justifié. En plein âge d’or, Aldrich commençait un travail de déconstruction du cinéma qui annonçait déjà les années 60 et 70 et qui donne à son film un statut d’œuvre charnière. C’est en tous cas l’un des films les plus impressionnants que j’ai vu dernièrement. A une époque où l’industrie du divertissement nous propose, de manière frénétique, de plus en plus de nouveautés et de gloires éphémères, il est parfois utile de se ressourcer auprès des valeurs sûres. Ceux, et ils sont nombreux, qui ont rendu hommage aux jeux créés il y a quinze ans dans mon précédent billet, ne me contrediront sans doute pas...

* Le terme ARG (Alternate Reality Game) désigne des jeux qui mélangent la réalité et la fiction en utilisant de nombreux médias et principalement Internet. In Memoriam peut être considéré comme une variante de ce genre.

Illustrations : images du film, notamment le fameux générique déroulé à l'envers qui, d'emblée, affirme l'aspect franc-tireur du réalisateur.


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