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Arlette LE MORE : une peinture aux couleurs de la vie

Par Marc Chartier
Arlette LE MORE : une peinture aux couleurs de la vie


Dans une interview accordée en 1990, Arlette Le More définissait sa vision de l'art. Avec le recul et après relecture attentive de ce texte, il lui a semblé ne rien devoir changer aux réponses qu'elle m'apportait alors.

MC: Arlette Le More, comment êtes-vous née à la peinture?

Arlette LE MORE : une peinture aux couleurs de la vie
Arlette Le More: À l'âge de 12-13 ans, j'ai commencé à crayonner sur tout ce qui me tombait sous la main. Même sur les murs de ma chambre, ce qui, évidemment, n'avait pas l'heur de plaire à mes parents! Mais comme ils étaient très attentifs, ils m'ont permis de fréquenter une école de dessin dans le XIIIe arrondissement de Paris. Puis, deux années plus tard, ils m'ont orientée vers la figurine de mode. La peinture? On ne connaissait pas dans la famille. Dessiner? D'accord, mais à condition que ça serve au moins à quelque chose d'utile.
Mon entrée à l'école des Beaux-Arts, en 1951, a bien sûr été déterminante pour moi. J'y ai pratiqué pendant quatre années la sculpture monumentale.
Après une parenthèse de sept ans, pour cause de naissance d'enfants et de départ en province, je me suis tournée vers la peinture. Durant une assez longue période, je n'ai fait qu'engranger, dessiner, étudier l'histoire de l'art contemporain et regarder beaucoup!
C'est alors qu'un premier marchand a remarqué mes toiles. Puis un second� Il y eut ensuite quelques salons. J'avais pris le départ de ce qui allait réellement devenir pour moi une profession.

MC: L'Académie, les Beaux-Arts� Est-ce un canal obligé pour tout artiste qui souhaite percer un jour ou l'autre? Ou bien les autodidactes ont-ils eux aussi leurs chances?
A. Le More: L'école des Beaux-Arts a beaucoup changé, depuis 1951, dans ses concepts et ses visées. Pour ma part, je la défends, car elle dispense une vraie formation. On y apprend le métier. On s'y confronte aux autres ainsi qu'aux thèmes imposés. Elle offre en outre la possibilité d'un certain compagnonnage et la mise à disposition d'un atelier pour travailler.
Pour le reste, à savoir le talent, on le possède ou non. C'est précisément le rôle de l'école ou autres établissements similaires de révéler les ressources de chaque artiste en puissance.
Les autodidactes ne peuvent bénéficier d'un tel privilège et de cette indispensable somme d'informations. D'où les difficultés qu'ils peuvent rencontrer pour évoluer.
Mais ce ne sont là que des généralités et l'histoire de l'art regorge d'exemples contraires.

MC: Si le génie n'a pas - ou si peu - droit à la spontanéité, le Beau ne serait-il donc qu'une valeur consensuelle, voire une convention de langage?
A. Le More: Je le pense en effet. Le beau correspond pour moi à une vision que mon voisin de palier perçoit vraisemblablement d'une tout autre manière.
Où est la laideur? Où est la beauté? Où est le vrai?
Des normes sont certes admises et servent de références. Il ne faut donc pas avoir peur d'un certain académisme, de la "chose" apprise.
C'est une grossière erreur d'imaginer que l'on ne doive faire confiance qu'à l'intuition. Il faut d'abord apprendre à voir, à regarder et à comprendre.
Le plus grand service que l'on puisse rendre à quiconque veut s'orienter vers une technique d'art plastique, c'est en effet de lui apprendre à décortiquer ce qu'il voit, à analyser, à rechercher la synthèse. Cette chimie interne propre à l'artiste est la base d'une véritable culture.

Arlette LE MORE : une peinture aux couleurs de la vie


MC: Toute expression artistique s'inscrit-elle dans une histoire? L'artiste se définit-il aussi par rapport aux autres?
A. Le More: Même si l'on peut entretenir des nostalgies ou de l'admiration pour tel ou tel maître à penser, on est toujours tributaire de l'époque dans laquelle on vit. Notre monde est constitué d'idées et d'images que nous partageons tous et dont nous nous imprégnons.
Quant à savoir si je suis libre ou non de m'exprimer comme je l'entends, sans être tributaire du goût du jour, il est évident que, comme tout artiste, je suis écartelée entre ce que je voudrais réaliser et ce que je ne puis réaliser aujourd'hui. La prospective est le propre de l'artiste. Mais aller contre mon gré en empruntant le courant de l'esthétisme du moment, dans le sens du vent? Non! Cent fois non! Suivre la mode n'a, à mes yeux, aucun sens.


MC: Tout artiste souhaite néanmoins, plus ou moins consciemment, inscrire son nom dans l'histoire de l'art�
A. Le More: Tout dépend des ambitions personnelles.
Il me semble en effet que les artistes femmes sont beaucoup moins soucieuses que leurs homologues masculins de la place qu'elles occupent ou qu'elles occuperont dans cette histoire. Les hommes se préoccupent de postérité. Les femmes, beaucoup moins. Du moins est-ce mon point de vue. Il est possible que je me trompe lourdement, car la société évolue. Le monde des artistes aussi.
Je suis pour ma part intéressée par le spectacle de la vie. J'essaie d'y participer avec les moyens qui sont miens. Point final! Je suis totalement accaparée par l'acte de peindre. Le reste m'importe peu.

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MC: Dans la grande communauté que forment les artistes, la concurrence ne fait pas de cadeau. Il faut vendre, se placer. Et chacun se retrouve seul.
A. Le More: Bien sûr! Un artiste est plus ou moins armé pour assumer la charge promotionnelle de son talent.
Il se peut qu'il cherche à percevoir tout de suite le fruit de son travail. Pour ce faire, il ira au plus facile et produira ce que le public attend dans l'immédiat. Je pense pourtant que la vocation de l'artiste ne se limite pas à cette immédiateté. Même s'il ne rencontre pas de succès rapide, même s'il ne figure pas au Top 50, un artiste authentique poursuivra sa démarche dans le sens de l'écriture qu'il croit être la sienne, quoi qu'il en coûte.
Il n'en demeure pas moins vrai que la reconnaissance, fût-elle minime, est indispensable au créateur. En réponse à son travail solitaire en atelier, il a besoin d'être écouté, apprécié, aimé et entouré de ses pairs.

MC: Votre peinture est sans nul doute le fruit d'une évolution personnelle. De quelles influences vous réclamez-vous?
A. Le More: Sculpteurs ou peintres, certains professeurs de mes débuts m'ont en effet fortement influencée. Ils gravitaient eux-mêmes dans l'orbite de leurs propres maîtres. Les peintres représentaient pour moi l'évolution et l'aboutissement de l'École française, de la peinture post-cézanienne notamment.
Puis mon cheminement s'est affirmé. Mon style s'est précisé autour de trois dominantes: le thème, la couleur et le rythme.
La couleur, c'est la vie. Le rythme est une pulsion qui vous habite en permanence. Même lorsque je cherche à réaliser des toiles plus sages, plus tranquilles, je suis comme malgré moi emportée par ces deux constantes.
Dois-je reconnaître que je les subis? En tout cas, elles s'imposent à moi au point que leur absence dans une toile me mettrait maintenant mal à l'aise.

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MC: Quels sont les événements, les spectacles, les situations dont vous vous inspirez dans votre peinture?
A. Le More: Il m'est tout d'abord facile d'énumérer ce qui ne m'inspire pas directement. Comme tout un chacun, je suis sensible à la beauté d'un coucher de soleil ou d'une montagne enneigée. Mais ces cartes postales ne représentent pas pour moi un sujet de peinture.
De même pour certains thèmes plus intimistes, comme la maternité - et pourtant, je suis mère et grand-mère! - ou les enfants. Sans doute est-ce parce que je respecte trop cette sphère personnelle et qu'il m'est difficile de l'aborder.
Vous constaterez que certaines de mes toiles sont inspirées par des milieux culturels que j'ai pu côtoyer, comme l'Égypte le Maroc ou la Grèce. Mais je n'en fais jamais état en termes de folklore ou de pittoresque. Je préfère les compositions qui, tout en étant tournées vers une certaine mythologie, sont le fruit de mon imagination.

MC: Vous autres, artistes, avez une mécanique intérieure difficile à cerner pour les profanes que nous sommes�
A. Le More: J'ai toujours sur moi des carnets de notes que je crayonne à la moindre occasion. C'est un moyen de m'approprier ce que je vois, observe et ressens.
Un artiste est, par définition, un "voyeur". Il reconstruit en permanence l'univers dans lequel il vit. Il le recrée. La peinture est d'abord un acte "mental".
Plus que des éléments figuratifs, je retiens des impressions de rythmes, d'assemblages et harmonies de couleurs. S'il m'arrive, par exemple, d'introduire, comme cela s'est produit, un drapeau sur une toile, je n'y vois aucunement le symbole d'une idéologie, mais plutôt un prétexte, un motif de coloration, un rassemblement de points forts, une confrontation de tons.

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MC: Qu'est-ce que l'inspiration pour un artiste? Comment vous mettez-vous en condition pour peindre?
A. Le More: Je m'installe à mon chevalet comme d'autres se rendent à leur bureau. Il ne faut pas attendre le moment de l'inspiration qui est une notion très romantique, souvent illusoire. Certes, je connais comme tout artiste des périodes plus propices à la création et des "états de grâce" dans l'élaboration d'une toile.
Dans la réalité, certaines échéances sont à respecter: une commande à honorer, un salon qui approche, un marchand qui vient s'approvisionner� Il faut alors livrer dans les délais imposés. C'est le côté contraignant, mais inévitable, de notre métier.
MC: dans la vie courante, le langage est souvent trompeur, imprécis. Ou bien il se dérobe et l'on n'arrive pas expulser de son tréfonds ce que l'on souhaiterait dire. Grâce à son mode particulier d'expression, l'artiste est en somme un privilégié.
A. Le More: Pour sûr! La peinture, au même titre que toute expression artistique, est un immense privilège. Le registre que nous utilisons est illimité, puisque nous passons aisément de l'art conceptuel à l'art hyperréaliste.
La peinture fait appel à des ressorts très simples. Elle est fondée sur une exigence plastique et se complexifie par la suite dès qu'elle se greffe sur la vie. Elle est ainsi porteuse de toute la gamme des émotions auxquelles donne naissance le coeur humain.

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MC: Même s'il vous faut vous bagarrer en permanence avec la matière, avec le matériau que vous utilisez?
A. Le More: Il arrive en effet que nous soyons confrontés à des effets proprement insupportables dès qu'ils sont mis à plat, que ce soit dans le format, la dimension ou le rapport entre les tons. Alors, j'abandonne pour un temps la rigidité du projet initial et le résultat est souvent très éloigné de l'intention de départ. Où est dans tout cela la part de la vérité? Et celle du rêve?
MC: Fignolez-vous la définition de vos couleurs?

Arlette LE MORE : une peinture aux couleurs de la vie
A. Le More: Peindre un beau vert - ou toute autre couleur -, y revenir sans cesse, le moduler, le reprendre, le vernir pour obtenir le ton idéal� Non! Telle n'est pas ma préoccupation principale.
Pour moi, une couleur n'existe que parce qu'elle est juxtaposée à une autre couleur. Un vert n'a de présence et de réelle consistance que s'il est placé à côté d'un jaune, d'un bleu ou d'un rouge.
MC: Si, en plus de votre palette de peintre, vous disposiez d'un lexique composé de seulement trois mots, lesquels choisiriez-vous?
A. Le More: Sans hésiter: Amour et Joie. C'est le résumé de toute vie. De la mienne pour le moins.
MC: Et le troisième mot?
A. Le More: Peut-être Autonomie� ne serait-ce que pour donner libre cours au dynamisme qui m'anime et dans lequel je me reconnais totalement.
MC: Il se dégage en effet de votre personne un tonus évident�
A. Le More: Certains artistes nourrissent leurs �uvres de toutes leurs angoisses. De fait, le drame et le tourment sont des sources de l'art.
Pour ma part, par tempérament, par bonheur à l'abri de grands bouleversements et gourmande de la vie qu'il me plaît de partager, je suis plutôt gaie. D'aucuns diraient " positive ". Le sérieux n'est pas nécessairement triste!

Arlette LE MORE : une peinture aux couleurs de la vie


Cette interview, réalisée pour la revue ACTION sociale et santé , a été reprise dans le livre A. Le More , éditions Le Léopard d'or, 2004, 144 p.

Informations complémentaires : http://perso.wanadoo.fr/prc/les_artistes/cv_artistes/cv_l...


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