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"Israël Borderline" de Julien Chatelin

Par Anom Yme
"Israël Borderline" de Julien Chatelin
Images en Manoeuvres Edition / 161 p. / 31 € en librairie - 29 € 45 sur Amazon

Israël est un drôle de pays, le microcosme du monde selon Avraham Burg[1]. Et alors que tous les regards sont tournés vers cet état hébreu, coincé dans un dar al islam [2] qui lui fait peur, Julien Chatelin a préféré y porter son objectif.

Les premières images montrent une foule en liesse, venue souhaiter la bienvenue en Eretz Israël [3]à un groupe d'Olim [4] faisant leur premiers pas en terre « trois fois sainte » pour accomplir leur aliya [5]. Des nouveaux conscrits sourient et applaudissent. En même temps, c'est leur métier : leur unité est « spécialisée en haie d'honneur »... Pour beaucoup c'est là que tout commence.

Arrivent des images de colons. Ils luttent contre leur expulsion de la bande de Gaza. Certains se sont barricadés dans une maison palestinienne, juste après avoir tenté de lyncher un jeune bédouin de 16 ans, sauvé de justesse par quelques journalistes, rapidement aidé de policiers.

Puis s'enchaînent des photographies de Tel-aviv : boîtes de nuits survoltées, soirées gays, club de strip-tease. On trouve de tout à Tel-Aviv ; même ce clochard de la rue Shenkin, endormi, mais qui arrive à tendre une main implorante malgré son sommeil. Il y côtoie la jeunesse branchée et, aussi, celle plus baba. Personne ne semble le remarquer. Nouveau phénomène paraît-il...

Crépitement de flash. Place aux soldats, à Tsahal. Certains marchent, d'autres pleurent et enterrent leurs compagnons tombés au combat. Des larmes, des armes, mais aussi des râles de fatigue après la fameuse marche de 72 km de la journée du béret. Cette Massa kumta clôturera la période de classe de toutes ces nouvelles recrues qui recevront leur béret de parachutiste, les incorporant pour de bon dans la machine de guerre.

Quelques clichés d'arabes israéliens. De simples moments de vie dans un salon de coiffure, durant un mariage, ou encore avec une chicha et quelques Bédouins. Une simple minorité...

Vient le tour des étudiants talmudiques et de leur yeshiva [6]: une véritable percée dans le quartier ultra-orthodoxe de Mea Shearim à Jérusalem. Ils sont tous habillés de la même manière : en noir des pieds à la tête. Quelques uns prient ou terminent une cigarette, chantent ou dansent. D'autres, plus anciens, avec des cheveux et des barbes d'un blanc immaculé qui tranche dans tout ce noir, écoutent patiemment la lecture de la Torah. On dirait de studieux élèves, un peu trop vieux pour perdre leur temps sur les bancs de l'université. Mais ils se taisent, passionnés. La lecture terminée, ils discutent, parlementent, débattent ; entre eux ou avec la nouvelle génération, celle qui ne tardera pas à les remplacer.

Autre mentalité, autre minorité : bienvenue chez les falashas, ceux dont on ne parle pas, ceux qui ne se sentent jamais vraiment intégrés, ceux qui ne peuvent se couler dans le décor souvent à cause de leur couleur de peau. Ils viennent d'Éthiopie et préfèrent s'appeler Beta Israël [7] plutôt que falashas, terme trop péjoratif à leur goût. Ils participent à la vie d'Israël comme tous, même s'ils ne rentrent pas dans les moules : toute leur émigration a été un long parcours semé d'embuches, de 1965 avec les premiers arrivants, jusqu'en avril 1975 ou Yitzhak Rabin reconnaît le caractère juif des Beta Israël, suivant l'exemple du grand rabbin sépharade Ovadia Yossef, et de celui du grand rabbin ashkénaze Shlomo Goren. Dans ces quelques images, rien de bien extraordinaire : les falashas sont là, mais pas entièrement...

Passé l'Éthiopie, Julien Chatelin décide de nous emmener tout droit en Russie. Cette fois-ci les cheveux crépus laissent place aux têtes blondes, les habits afro-américain aux costumes et mini-jupes. Une autre facette d'Israël, qui prend chaque jours un peu plus de place.

Et les oubliés alors, ceux qui ne sont ni arabes israéliens ni falashas ou ni même sans-abris ? Ils sont là, eux aussi. Rencontres et portraits avec Henat, 22 ans, dans le centre de désintoxication dans lequel elle est tombée après avoir passé maintes nuits sur le trottoirs pour ramasser quelques shekalim ; ou avec Amir, 35 ans héroïnomane lui aussi, et qui n'hésite pas à laisser son empreinte sur notre rétine. Ils sont bel et bien là, tous autant qu'ils sont ; mais on ne les montre pas trop : ça détruirait le rêve israélien...

Pour terminer ce véritable reportage, le photographe a choisi deux mondes totalement opposés : de nouvelles images de colons, avec... des rassemblements hippies. Les premiers travaillent la terre, se réunissent le soir autour d'un café après une journée de labeur. Dans la synagogue, un jeune colon semble passionné par la bibliothèque hébraïque qui s'offre à lui. Il semble hésiter sur le livre à choisir. Ce serait un beau tableau si son pistolet, fièrement accroché à sa ceinture, ne resplendissait pas de milles feux.

Les seconds planent totalement, guitare en main, certains nus, d'autres enlacés sur la plage ou sur la piste de danse, tous les yeux embrumés.

L'objectif est bien atteint. En un peu plus de cent photographies, Julien Chatelin nous livre un remarquable portfolio de la société israélienne, dans tous ses paradoxes et sa multiplicité. Chaque pan est scruté, au fruit d'un noir et blanc qui nous laisse seulement l'essentiel. Si certaines images sont plus là pour illustrer, d'autres nous laissent un souvenir marquant, comme les yeux exorbités de Yishai Sclissel, cet ultra-orthodoxe qui n'hésita pas à blesser trois manifestants pour montrer son désaccord en pleine Gay Pride de Jérusalem de 2005.
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Notes :
[1] : In « Vaincre Hitler » (Fayard) 2008
[2] : Domaine de l'islam en arabe
[3] : L'Eretz Israël est le territoire historique des Hébreux (comme décrit dans la Bible)
[4] : Olim est le nom donné aux juifs qui ont émigré en Israël pour retrouver leurs racines
[5] : Pour un juif , effectuer son aliya c'est faire un voyage spirituel en terre d'Israël
[6] : Une yeshiva est une école religieuse juive
[7] : Beta Israël pourrait se traduire par « la maison d'Israël » même si, plus couramment, le terme est utilisé comme « famille d'Israël », exprimant ici un lien d'appartenance



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