« Je suis le capitaine Henri Villon et je mourrai bientôt. » (13). Ainsi commence Le Déchronologue. Flibustier de lettres et d'honneur, pourchassé par ses morts et par ses crimes, fussent-ils toujours justes, Henri Villon nous conte, dans le désordre savamment orchestré de son journal - au prologue, daté de 1953 (« À bord du "Déchronologue", après la débâcle ») succèdent le premier chapitre (1640) puis les chapitres XVI et XVII (1646), avant de revenir en 1640 et 1641 dans les chapitres VI, II et VII, et de faire un nouveau bond en avant en 1651 dans le chapitre XXII, etc. - son extraordinaire aventure, de Port-Margot en 1640 à la bataille de Maracaibo en 1953 (un épilogue complètera le tout, écrit par un autre personnage, Mendoza, en 1655). Les îles des Caraïbes du XVIIe siècle, berceau de la piraterie et creuset de nations en quête de places stratégiques à quelques encablures de la Floride au nord, du Yucatan à l'ouest (le Mexique) et de Carthagène au sud en Colombie, sont, historiquement, le théâtre de maints affrontements entre Espagnols (ici, les « Spaniards »), Français, Anglais et autres colons européens. À Port-Margot ou sur l'île de la Tortue, le commerce des maravillas fait rage. Les maravillas sont des objets d'origine inconnue aux propriétés fantastiques : certains, comme la quinquina, soignent la fièvre des marais ; d'autres, les conservas, pourraient résoudre les problèmes de disette ; d'autres encore indiquent le Nord, projettent un faisceau lumineux dans la nuit ou diffusent de la musique aux rythmes bizarres. Corsaires et boucaniers s'arrachent ces merveilles venues d'autres époques, sources de profit autant que de ravissement. Parfois, ce sont des flottes entières qui surgissent dans les eaux infestées de tiburones de la région, à la faveur de tempêtes temporelles que craignent les puissants Spaniards eux-mêmes... D'où viennent les maravillas ? Quel est leur lien avec les Itzas, ces indiens du Yucatan qui fomentent une révolution contre la domination régionale de la couronne d'Espagne ? Qui sont les mystérieux Targui ? Comment les trirèmes d'Alexandre ont-elle pu entreprendre l'invasion (vite avortée) de l'Amérique du XVIIe siècle ? Que sont les burbujas, ces bulles qui flottent, comme de mauvais augures, au-dessus des terres et des océans ?... À ces questions, Stéphane Beauverger ne répond parfois qu'incomplètement. C'est que, de notre avis, l'intelligence du Déchronologue repose moins sur la vraisemblance des faits et des explications rationnelles, que sur une cohérence plus souterraine qui, nous l'avons déjà suggéré, est étroitement liée aux émois métaphysiques de Villon.
Joignons-nous néanmoins, pour le moment, au chœur harmonieux de la critique : en tant que récit de piraterie, il est vrai, Le Déchronologue fonctionne parfaitement.