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ETREINTES BRISEES de PEDRO ALMODOVAR

Par Abarguillet

Sony Pictures Classics    VIDEO

Un homme écrit dans l'obscurité. Cet homme s'appelait Matéo Blanco et aujourd'hui a pris le pseudonyme de Harry Caine. Pourquoi ? Parce que sa vie quinze ans auparavant a été brisée par un accident de voiture qui l'a rendu veuf et aveugle. Après cette rupture tragique, l'homme ne pouvant plus exercer son métier de metteur en scène est devenu simple scénariste et, à travers les histoires qu'il propose, tente vainement de restituer sous forme d'un puzzle la sienne propre, présent déchiré par le passé, le secret et la mémoire tronquée. Comme l'évoque le titre, volontairement mis au pluriel, plusieurs histoires se mêlent et s'entremêlent avec fluidité et dans cet entrelacs  Pedro Almodovar se livre à une réflexion sur la création et la destruction, celle des oeuvres que l'on se doit d'achever, même la peur au ventre, même " à l'aveugle", comme le dit Matéo ( Lluis Homar ), le héros d'une passion interdite. N'est-ce pas le film qui commande ? La faute principale de Matéo n'est pas tant d'avoir séduit la femme d'un autre - celle d'un riche homme d'affaires qui avait accepté de financer son film à condition qu'il confie le rôle principal à sa maîtresse et dont il est devenu follement amoureux - que d'avoir préféré cette femme à son art ? Le destin l'a puni de façon exemplaire en le privant à la fois de la femme aimée, cette Léna somptueuse comme un crépuscule, morte dans l'accident de voiture, et de la possibilité de poursuivre son métier de metteur en scène.


Penélope Cruz. Sony Pictures Classics


Récit d'un amour dominé par la fatalité, le dernier opus d'Almodovar s'ancre en prenant pour métaphore le processus du montage d'un film comme symbole de la réalisation d'une vie. Riche en flash-back afin de nourrir le suspense autour du personnage central, Léna, campé par une  Penélope Cruz  plus glamour que jamais, actrice sensible, truculente, exaltée et exaltante, la caméra ne cesse de nous offrir des plans somptueux qui confirment la maîtrise et la virtuosité du cinéaste ibérique et nous ensorcelle une fois de plus par la beauté formelle de ses images.
Certains ont reproché à Almodovar se s'être montré moins innovant que dans ses films précédents. Je ne suis pas d'accord.  Etreintes brisées  m'est apparu comme une oeuvre de plénitude, synthèse des acquis du passé, qui s'énonce de façon consensuelle en un abouti subtil et puissant, joue de la référence ainsi que du magnétisme bien connu de l'auteur, qui ne manque jamais de rendre hommage à ses maîtres, dont Rossellini auquel il adresse un clin d'oeil à travers l'évocation du  Voyage en Italie.
Malgré quelques imperfections et en partie grâce à elles, le film est parcouru par une émotion constante. Principalement par celle que provoque, même traitée au figuré, la conscience de l'artiste d'être un jour privé de la possibilité de poursuivre l'exercice de son métier. Almodovar l'a cristallisée dans la cécité de Matéo Blanco. Mais comme le dit l'un des héros, c'est le film qui reste au coeur du drame, drame personnel de l'amour fou qui, en fin de compte, ne parvient pas à se partager entre la femme adulée et l'art vénéré.
Lors d'une actualité cinématographique plutôt sinistre et décevante, Etreintes brisées sort du lot de manière éblouissante et signifie, si besoin est, que le talent reste une valeur sûre.


Pedro Almodóvar et Penélope Cruz. Sony Pictures Classics


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