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Spécial Prix des Découvreurs : autour de Immense Existence de William Cliff

Par Florence Trocmé

Dans le cadre de son accompagnement du prix des Découvreurs, Poezibao publie ici (et publiera dans les prochains jours) une série de textes et documents liés aux auteurs de la sélection 2008*. Il est d'usage que chacun donne une courte présentation sur son livre et les organisateurs du prix publient de leur côté une note de lecture (rédigée par eux ou par des critiques) pour chacun des sept ouvrages sélectionnés.
Je republie aujourd'hui la note de lecture que Tristan Hordé a consacrée à Immense Existence de William Cliff, suivi d'un texte de ce dernier.

Vous appréciez les vers comptés, dont on dit un peu vite qu'ils appartiennent à "autre temps de la poésie" ? Alors il faut lire Immense existence , où se succèdent divers mètres, de l'heptasyllabe à l'alexandrin, et des formes strophiques anciennes, dont la ballade - avec envoi : Prince d'Amour tellement séduisant / heureusement que tu viens en passant , etc. On relève des rimes embrassées ( passe :ces/excès/carcasses ), croisées ( horizon/structures/qu'ils ont/nature ) ou plates ( coule/foule/cruelle/semelle ), et même la très classique élision du de quand elle est nécessaire pour éviter un vers bancal. Ce n'est pas dire que William Cliff écrit Lamartine. Sa métrique, très libre, ne s'embarrasse pas des règles d'un manuel, négligeant la prononciation du dit " muet " quand besoin est, ou n'essayant pas à tout prix de rimer. Le lecteur reconnaît dans cette très brève description les pratiques du poète depuis le premier texte publié, qui annonçait à quoi devait servir le vers :

Ce vers de quatorze syllabes dont je suis si fier
va-t-il me permettre de cracher le vivre amer
qui me brûle sur les lèvres, malgré la loi illusoire
de la rime et des pieds dont je me charge sans y croire ?

Homo sum, dans Cahier de poésie I, Gallimard, 1973, p.145)

C'est encore le " "qui nourrit les derniers poèmes, mais malgré l'âge venu la solitude reste entière (" parfois j'ai de la peine à me retrouver seul "). Ce sont maintenant les souvenirs, et non plus le présent ou le passé proche, qui constituent le matériau de l'écriture. Souvenirs des amours ou des amants de rencontre, souvenirs des lieux de l'enfance et des parents. Souvenirs aussi des voyages : comment sortir du monde clos, des jours prosaïques si ce n'est en partant ? Sont évoqués Montevideo, Helsinki, Tokyo, Bénarès, Porto Rico, Atlanta, Saint-Pétersbourg, l'Espagne qui lui est chère. Regard attentif sur les choses et les gens, puisque qu'ailleurs " on voit la vie réelle " ? Il y a encore et encore comme une nécessité d'être ailleurs : l'image du navire quittant le port ou y accostant revient souvent dans le livre (" nous étions sur la digue regardant au loin / le bateau qui s'effaçait dans le crépuscule ", " on attend le bateau on l'attend on l'attend ", etc.). Cependant, le regard aigu ne découvre pas de paix et il semble qu'il faille toujours repartir pour " ne plus voir l'horreur d'être né sur cette terre / et d'attendre toujours que se lève le jour ". Rien d'étonnant, donc, à la présence de Rimbaud dans Immense existence ; non nommé il est évoqué lors d'un "pèlerinage" de Cliff à Charleville : " ah ! qu'il a dû souffrit ici l'Adolescent / et qu'il a dû sentir le poids de la misère ". Rimbaud est encore là dans un autre poème par l'emprunt d'un de ses mots () et par le souvenir de Verlaine (" dans le vieux parc où Verlaine a chanté ".
Y a-t-il du malheur partout ? oui, et parfois " allons boire / afin d'oublier les méchancetés ". Ou bien séjournons dans une ville hors du temps, Venise, " pour oublier la vie réelle ". Il existe des moments de grâce, ceux donnés par la lecture, notamment par la poésie :

Cliff y ajoute ce que révèlent sans cesse les oiseaux, oiseaux marins ou merle, " oiseaux qui chantent [...] / à gorge triomphante l'Existence Immense ".

Le texte de William Cliff

Savez-vous pourquoi la poésie française contemporaine me rebutait ? Parce que je ne m'y retrouvais absolument pas. En quoi pouvais-je m'identifier avec les " mages " de cette poésie, avec ces " inspirés " prenant des poses grandiloquentes ou, au contraire, faisant des grimaces incompatibles avec l'existence d'un être ordinaire tel que moi ? Et que voulais-je ? Je voulais ce que chacun veut, c'est-à-dire être heureux autant qu'on peut l'être sur cette terre. C'est pourquoi le poète catalan Gabriel Ferrater a été si important pour moi. Il m'a montré que la poésie pouvait aussi parler de la vie ordinaire. (Cf. Georges Perros) Et que cette vie ordinaire était même la seule vraiment authentique et donc le seul sujet vraiment authentique du poème. C'est ainsi que je me suis mis à écrire en parlant de moi et de ces frères humains sans lesquels on ne peut vivre. François Villon et Baudelaire l'avaient déjà fait ? Raison de plus pour que je le fasse aussi.

*Rappel de la sélection du prix des Découvreurs
Franck Venaille : Chaos, Mercure de France ( note de Georges Guillain)
William Cliff : Immense existence, Gallimard
Petr Kral : Pour l'Ange, Obsidiane
Florence Pazzottu : La Place du sujet, l'Amourier
Tahar Ben Jelloun : L e Discours du Chameau, Poésie/Gallimard
Francis Ricard : E n un seul souffle, Cheyne
André Velter : L'Amour extrême, Poésie/Gallimard


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