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L'invitation au "voyage"…

Publié le 07 juin 2009 par Boustoune


Lors de la dernière cérémonie des oscars, tout le monde s’attendait à voir triompher Valse avec Bachir ou Entre les murs, mais c’est un outsider tout droit venu du pays du soleil levant qui est reparti avec la précieuse statuette. Pas de quoi créer au scandale pour autant : avec Departures, le cinéma japonais nous offre une nouvelle petite merveille.
Il s’agit d’un mélodrame assez classique, qui use (et abuse ?) sans complexe de toutes les ficelles du genre. Mais, n’en déplaise à ses détracteurs, qui lui reprochent de tomber dans l’émotion facile et les clichés, il le fait de façon intelligente et efficace, pour, au final, véritablement bouleverser le spectateur.
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Le film de Yojiro Takita, comme son titre l’indique, parle de «départs».
Déjà, le nouveau départ du personnage principal, Daigo Kobayashi… Le jeune homme venait juste de réaliser son rêve, devenir violoncelliste professionnel, quand l’orchestre dans lequel il avait été engagé a été dissout. Un peu déboussolé, il décide de retourner s’installer dans le village de son enfance, loin des grandes villes. Désireux de retrouver très vite un emploi, il répond à l’alléchante offre d’emploi d’une société spécialisée dans « l’aide au voyage »… Il pensait trouver un poste dans une agence de voyage, mais il s’aperçoit bien vite que la société en question est en fait une entreprise… de pompes funèbres ! On attend de lui qu’il aide à préparer les défunts pour leur départ vers l’au-delà…
Daigo est d’abord écoeuré par ce métier pour le moins particulier, et qui plus est très mal considéré par la communauté - ses voisins et sa femme manifestent vite leur désapprobation, puis leur hostilité à cette profession « impure ». Mais il va peu à peu comprendre la noblesse de cette tâche apparemment ingrate, et découvrir l’importance des petits rituels mortuaires pour les familles. Toilette des corps, enveloppement dans des kimonos traditionnels, maquillage des visages afin de leur donner une dernière fois un aspect éclatant, pour figer leur beauté dans le souvenir des vivants, cérémonie de recueillement pour un ultime au-revoir… Autant de moments intimes, essentiels, qui aident à soulager la peine des proches des défunts. Chaque geste de ces rites de préparation à l’ultime voyage se doit d’être accompli avec le plus de délicatesse, de pudeur, de compassion possible. Un véritable travail d’artiste virtuose, qui pourrait s’apparenter au travail du musicien, dont les mélodies parviennent à soulager un temps des peines du quotidien... Un travail pour lequel il est peut être fait…
A l’instar de Daigo, fasciné par la beauté des gestes de son patron et mentor, on se laisse subjuguer par la puissance émotionnelle du récit. On navigue entre la poésie funèbre qui en émane et les pointes d’humour qui surgissent parfois pour le rendre plus aérien.
Cet équilibre entre légèreté et gravité est trouvé dès la séquence d’ouverture, où le héros se laisse troubler à plus d’un titre par le cadavre de la ravissante jeune femme qu’il doit préparer pour la mise en bière. Et tout le film évolue ainsi, tel un funambule, balançant entre rire et larmes, traversant ces cérémonies de funérailles si semblables et en même temps si uniques, toutes imprégnées de la douleur du deuil et de la force de la vie, toutes porteuses de petits drames, de blessures intimes. Chacun sera libre d’y faire résonner sa propre histoire, ses propres pertes, ses propres peines et de se laisser gagner par l’émotion.
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A elles seules, toutes ces séquences auraient suffi à donner un film magnifique. A ce récit d’un apprentissage de la vie par le biais d’un métier lié à la mort, le cinéaste a choisi d’adjoindre une histoire un peu plus convenue, axée sur la rancœur que Daigo nourrit à l’égard d’un père qui l’a abandonné alors qu’il n’était encore qu’un enfant. Cette intrigue secondaire semble un peu plus artificielle et moins convaincante, mais elle s’intègre néanmoins dans la logique du récit. Si, comme le suppose le vieil employé chargé de procéder à l’incinération des défunts, la mort correspond au passage vers un autre monde où les personnes séparées pourront se retrouver un jour, il faut que les vivants continuent d’entretenir un lien fort avec leurs disparus. Cela passe forcément par les souvenirs.
Les rites mortuaires favorisent le recueillement autour du défunt, aident à faire affluer des souvenirs de moments heureux. Et les figent tel le visage du mort, masque d’apaisement transcendé par le travail du thanatopracteur, qui lui redonne une certaine dignité, une humanité, une éternelle étincelle de vie et de beauté.
C’est en s’occupant lui-même des funérailles de son père, que Daigo va réussir à se réconcilier avec lui, à oublier la haine qu’il a nourri à son égard pendant des années. En s’occupant de sa dépouille, il va pouvoir associer un visage à un souvenir précieux, un des rares moments de complicité partagée. Et ce lien filial retrouvé va lui permettre, à son tour, d’assumer sa propre paternité et d’entretenir le cycle de la vie.
Dès lors, cette ramification du récit n’est absolument pas vaine. Elle consolide même tout un pan de l’histoire, axée sur l’importance des liens familiaux et de l’héritage spirituel que les parents laissent à leurs enfants.
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Et même quand il flirte dangereusement avec le pathos, le film peut s’appuyer sur les comédiens, impeccables. Le jeu de l’acteur principal Masahiro Motoki est de prime abord assez déroutant, mais ses grands yeux expressifs et ses mimiques qui semblent tout droit sorties d’un vieux film burlesque collent à merveille au personnage, en lui conférant une sorte de poésie lunaire. A ses côtés, Tsutomu Yamazaki, inoubliable acteur de Tampopo et de quelques beaux films d’Akira Kurosawa, livre une prestation toute en élégance et en finesse, dans le rôle du patron de la petite entreprise funéraire, homme un peu bourru, mais plein de tact et de compassion. Et Ryoko Hirosue, au jeu également un peu décalé, s’avère au final plutôt convaincante.
Mais on peut aussi citer un autre acteur-clé du film, absent physiquement à l’écran, mais malgré tout omniprésent : Joe Hisaishi. Ah, que le bonhomme est doué pour créer des musiques qui vont transpercent l’âme, qui vous emportent, qui font vibrer en vous les émotions les plus rares ! Après la magnifique musique qu’il a signée pour Ponyo sur la falaise, de son vieux complice Miyazaki, le compositeur livre une autre bande-originale de première grandeur, portée par les accents mélancoliques et graves du violoncelle et la douceur du piano. Il lui suffit de quelques notes pour sublimer un récit au potentiel dramatique déjà intense…
A moins que vous ne soyez particulièrement insensible, il ne fait guère de doute que Departures saura vous faire vibrer et vous extirper quelques larmes. Même s’il se laisse parfois tenter par l’émotion facile et les clichés, Yojiro Takita fait preuve d’une finesse et d’une pudeur parfaitement appréciables. Il livre ici son meilleur film, tout simplement et je ne saurais que trop vous recommander cette oeuvre absolument bouleversante…
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