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Entre bulletins nuls, blancs, ou votes explicites, la frontière est tenue. Faut-il, tout simplement, consentir à s’exprimer ? Et qu’est ce qui fond le gouvernement des hommes ? Stéphane Zagdanski, dans « L’impureté de dieu ; la lettre et le péché dans la pensée juive » (Ed. du Félin)apporte une réponse terrible à ces questions. « Si Hegel prétend que c'est l'inquiétude seule qui fonde la soumission, la Cabale rétorque que c'est la soumission, allègre d'abord, qui désire et engendre ensuite l'inquiétude. Car les Noachides choisissent, dit le Zohar, de se bâtir en Babel un objet d'adoration, dahala en araméen, littéralement un « dieu-terreur ». Et dans « Nemrod » se laisse entendre mora, le tremblement de la « crainte » et le délicieux frémissement de la « vénération ». Toute la puissance de Nemrod tient dès lors dans l’amour démesuré que lui portent ses serfs, dans cette ferme croyance en une réalité du pouvoir que partagent les esclaves et les maîtres, qui sont les mêmes. Le Midrach indique bien que c'est le discours des sujets qui fonde le pouvoir dialectique du roi, par une sorte de maïeutique asservissante, une logique sournoise du « Si ce n'est toi... » : « Nemrod prenait les créatures au piège de leurs paroles, et comme lui Esaü prenait les créatures au piège de leurs paroles. Il disait [à l'accusé] : Soit, tu n'as pas volé, mais qui a volé avec toi ? Soit, tu n'as pas tué, mais qui a tué avec toi ? » Il les prenait au piège de leurs paroles à eux, non pas des siennes à l'instar d'un vulgaire psylle qui, clarinettant de sa rhétorique séduisante, en imposerait à ses auditeurs extasiés. Je suis innocent ! gémit le candide esclave... Tu parles ! lui ricane Nemrod à la face. Et puisque tu parles, tu participes de la communauté babélienne fondée sur une unique parole. T'exprimant, tu deviens parfaitement interchangeable. Toi ou autrui, criminel ou innocent, cela revient au même. C'est l'aboutissement de la logique de l'indifférenciation du novlangue, dans 1984 : « La guerre c'est la paix ; la liberté c'est l'esclavage ; l'ignorance c'est la force ». La servitude n'est pas seulement volontaire, elle est atrocement jouissive, au point qu'il la faut rendre terrifiante pour pouvoir l'adorer tranquillement, ne plus redouter l'inexistence et le peu de poids qu'elle risque à tout moment de révéler. On ne pouvait poser de plus pessimiste manière la liberté humaine, ni plus crûment décrier son usage pervers. » Aucune issue, donc, sauf à parler d’autre chose. J’y (re)viens…