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Considérations cons.

Publié le 10 juin 2009 par Francisbf

Ces derniers temps, je me surprends à prendre plaisir à faire des comparaisons qu'on pourrait, avec un esprit un tant soit peu politiquement correct, qualifier d' "inappropriées". J'aime bien rappeler que l'accident du vol Air France Machin, aussi dramatique soit-il, n'est après tout qu'un fait-divers, et que même si ça n'en diminue pas la douleur des familles, ça n'a après tout qu'un intérêt très limité, et qu'on a vachement moins parlé des essais nucléaires de la Corée du Nord, qui risquent d'avoir un impact un chouïa plus important sur l'avenir du monde.

Hum.

Je me rends soudain compte que cette comparaison n'est pas aussi inappropriée que je le pensais, mais tant pis, j'arriverai quand même là où je voulais en venir, même si le lien n'est pas aussi flagrant que je l'aurai voulu. Voilà donc la question : comment se fait-il que la société admette moins facilement la mort d'un bébé que celle d'un vieux ?

En effet, je ne sais pas ce que les gens ont avec les bébés (1), mais quand ils en voient un mourir, tout de suite c'est le drame, ça pleure dans les chaumières, et pour peu que ce soit le parent du môme (sans lequel, rappelons-le, l'enfant n'existerait de toute façon pas) qui l'ait mis au congélo, les plus farouches humanistes se sentent pousser des piques au bout des bras et vont réclamer le retour de la guillotine, alors que quand c'est un vieux qui meurt, on entend les mêmes dire « ha ba son heure était venue, hein »  « C'est bien triste mais il fallait s'y attendre », et autres réflexions désabusées (au pire, on entendra même des « C'est mieux pour lui » ou « Il est mieux là où il est » ! On croit rêver).

Pourtant, il me semble que la mort d'un bébé est bien moins dramatique que celle d'un vieux.

Alors certes, le vieux est peu esthétique, tout ridé, il sent mauvais et ne contrôle pas ses sphincters. Mais le bébé non plus, et en plus, il ne sait pas parler.

Ceci dit, ce n'est pas ça qui me fait dire que la mort d'un vieux devrait être plus triste que celle d'un bébé.

Je pourrais jouer au cynique et vous sortir des arguments économiques. Que coûte à la société l'entretien d'un vieux, qui a cotisé des dizaines d'années pour sa retraite, par rapport à celle d'un enfant, qu'il faudra éduquer, soigner, et qui n'apportera sa pierre à l'édifice qu'après deux bonnes dizaines d'années ? Si quelqu'un a des chiffres, je serais curieux, tiens. Mais je n'ai que peu de doutes sur le résultat final.

Mais j'ai beau avoir un esprit souvent mal placé, mon propos n'est pas là. (d'ailleurs, je ne pense pas que l'argument économique puisse être une justification pour quoi que ce soit, j'ai une morale assez généreuse de l'argent des autres). Non, mes arguments sont d'ordre plus socio-évolutionniste.

Un vieillard qui meurt, disait Amadou Hampâté Ba, c'est une bibliothèque qui brûle. Et en effet, pour chaque vieux qui disparaît, ce sont des milliers d'expériences, d'images, de souvenirs qui s'éteignent avec lui, et qui seront à jamais perdus pour l'humanité.

Mais un bébé ?

Un bébé, c'est vide. Culturellement parlant, je veux dire, et l'avancée de notre espèce se fera par la culture ou ne se fera pas. Ca n'a rien dans la tête, un bébé, ça n'a rien expérimenté, rien amené à l'espèce, ça n'aura rien à regretter, en bref sa disparition ne sera que celle de potentialités irréalisées. Un peu comme un ticket de loto perdu, on se dit zut, on aurait pu gagner des millions, mais les probabilités sont fortes pour que ce soit de l'argent gâché de toutes façons.

Ce qui ne dit pas qu'il ne faut pas continuer à jouer, hein ! Il y a des gagnants malgré tout, et heureusement. Mais pour un bébé qui deviendra un Edison, un Picasso, un Darwin ou que sais-je encore, combien de futurs obèses qui passeront leur temps vautrés devant leur télévision ou internet ?

Puis en plus, à bien y regarder et à tirer la métaphore jusqu'au bout, le bébé, c'est un loto auquel l'espèce peut perdre. Pour quelques millions d'innocents qui naissent, combien d'Hitler qui les élimineront ? Combien de Berlusconi, de Marc Levy, de Max Pécas, de Bernard-Henri Lévy (2) en puissance qui gâcheront la vie des autres ?

Au moins, avec les vieux, on sait à qui on a affaire. Ils ne présentent pas le risque d'évoluer en quelqu'un d'abominable, s'ils l'ont été au moins ils sont moins en état de nuire que dans la force de l'âge, et ils peuvent servir de mémoire vivante, d'exemple (il est important de pouvoir se confronter à un vieux con pour pouvoir se dire « je veux surtout ne jamais devenir comme ce vieux con » et ne pas devenir un vieux con, c'est moins bien que de devenir quelqu'un de vraiment bien mais c'est quand même déjà pas mal). Et si c'était des gens bien, on peut encore prêter attention à ce qu'ils disent, à leurs opinions sur l'actualité et comment il faudrait faire pour arranger tout ça (bon, on en trouve peu, mais même).

Alors qu'un bébé n'apportera jamais rien au concert des nations. Parce qu'il est trop petit et ne sait rien faire (sinon babiller de façon charmante mais lassante au bout de trois minutes).

Enfin bon, malgré ça, reste que la mort d'un vieux, c'est normal, c'est la nature. Alors qu'un bébé qui meurt, ça l'est aussi, mais c'est le côté de la nature dont on espérait le plus s'être défait. Pourquoi, je ne le sais toujours pas (1).

  1. (1) en fait si, je le sais parfaitement.

  2. (2) Tiens, ça fait deux Lévy. N'y voyez pas de traces d'antisémitisme, j'avais pas pensé à Bernard-Henri avant que cubik ne me le rappelle)

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