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"Clara et la pénombre" - José Carlos Somoza, 2001

Par Velvetblack

2006. Le monde de l'art a subi de grands bouleversements. La peinture sur toile est complètement démodée, et a été supplantée par l'art HD (Hyper-Dramatique).
Qu'est-ce que l'art HD? Pour certains, ce sont des êtres humains utilisés à des fins décor atives, qui restent immobiles pendant des heures. Pour d'autres, ce sont des oeuvres d'art (peintures, mobilier); pour Bruno van Tysch et la Fondation, ce sont des oeuvres en trois dimensions ayant pour matière première des corps humains; des peintures qui ressemble nt à des personnes, et à qui il arrive de bouger.

Les "toiles" dédient entièrement leur vie à la peinture, et cela leur demande énormément de sacrifices. Elles son t tout d'abord préparées lors de séances de "tension" très rudes, longues et parfois humiliantes, puis l'artiste appliq ue des fixateurs de couleurs, des huiles, ainsi que toutes sortes de produits et médicaments servant à réguler les fonctions naturelles. La toile est peinte, exposée, puis louée ou vendue, avant d'être remplacée.

Lorsque Annek Hollech, 14 ans, est retrouvée morte, atrocement mutilée, la question se pose: est-ce une jeune fille qui a été assassinée, ou bien une toile qui a été détruite? Pour la police, c'est un meurtre, et pour le monde de l'art, c'est un grave attentat contre l'œuvre d'un maître. Alors que la police poursuit l'assassin à travers l'Europe, Clara Reyes, très exaltée, s'apprête à devenir l'une de pièces maîtresses de la nouvelle exposition de Bruno van Tysch, le maître du genre. La menace du meurtrier plane-t-elle sur elle?

Ce livre parle d'art, d'amour de la peinture, et les mots sont comme des coups de pinceau. Par petites touches, le ton est donné avec justesse, et l'histoire naît so us nos yeux comme le tableau dans l'esprit du peintre. C'est un texte de caractère, dur, fort, lumineusement obscur, très (cinémato)graphique. Comme en peinture, la couleur est l'élément principal de ce roman. Elle est là, omniprésente, parfois étouffante, comme dans cette scène violette... :
"La pièce où il se trouvait appartenait au Museums-quartier. C'était un grand rectangle, insonorisé et tapissé d'éclairages de divers tons de violet: au plafond resplendissaient des pourpres doux, au sol des cobalts et au mur des carrés de couleur lavande, de sorte que les figures semblaient flotter dans un aquarium de vin de Bourgogne. Excepté la Table Basse, il n'y avait pas d'autres décorations. Pour ce qui était du reste, l'extrémité du fond ressemblait à un studio de télévision. Dix moniteurs en circuit fermé étaient rassemblés sur des panneaux fixés au mur; leurs écrans éteints reflétaient des ongles qui projetaient une lumière violette. [...] D'un air béat, Benoît déposa la tasse sur la soucoupe, se pourlécha les lèvres et regarda Bosch. Les lumières des murs lui r ougissaient les pupilles; sa calvitie lui constituait une casquette pourpre cardinal et les pieds et la moitié inférieure de son pantalon lançaient des braises violettes."

L'auteur exploite ici la fascination de l'homme pour le dérangeant, le malsain, en mettant en scène de façon chirurgicale nos déviances possibles, nos pires fantasmes. C'est une véritable réflexion sur la valeur d'une vie au sein d'un monde mercantile et corrompu.

Ce roman, que l'on peut qualifier de roman d'anticipation (écrit en 2001, l'histoire se déroule en 2006), est très déstabilisant. Est-ce que tout cela existe vraiment? Est-ce que cela est envisageable? Je vous avoue qu'après ma première lecture, je me suis précipitée sur internet pour trouver des exemples réels, des noms d'artistes, etc. Je n'ai rien trouvé, et je me suis couchée sereine.

Quelle ne fut donc pas ma surprise, en le relisant une seconde fois, et cherchant de nouveau des informations relatives à l'art HD, de découvrir que cela existe, pour de vrai! Une artiste (accepterez-vous de l'appeler comme telle?), Julie John, a créé des intérieurs meublés avec des objets humains peints. Si vous avez du mal à me croire, cliquez donc ICI. Je vous fournis la preuve en images:


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