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The Wrestler

Par Ignatus

Les Etats Unis (le cinéma américain), depuis quelques années, ont une capacité étrange à créer des anti-héros. Quel acteur pouvait le mieux incarner cette image de l'Amérique dépressive et désenchantée ?

Mickey Rourke ou l'anéantissement de l'american way of life.


Rody est catcheur de profession. Il a connu son heure de gloire vingt ans auparavant lorsqu'il était au mieux de sa forme. Aujourd'hui, il écume les salles de catch amateur et les boites de strip-tease à la recherche d'un peu d'amour, de contacts violents ou charnels. Il vit seul dans une caravane quand il peut la payer sinon il dort dans son van gris métallisé. Il a un blouson noir rapiécé maladroitement au fil blanc. Rapiécé comme son corps meurtri par le sport et les anabolisants. Les deux acteurs principaux sont beaux, à l'image de l'épave d'une vieille et rare Mustang 68' retrouvée par hasard dans le coin d'un terrain vague.

  Myckey Rourke dans le rôle du catcheur et Marisa Tomei dans le rôle de la strip-teaseuse. Deux acteurs fatigués, heurtés par la vie. Mickey Rourke, acteur lunaire si proche dans la réalité de la décrépitude des rôles qu'il à toujours interprétés au cinéma de Rumble Fish à Sin City. Et Marisa Tomei qui n'a jamais pu réussir à Hollywood. Elle n'a jamais vraiment su se trouver et peut être même se retrouver dans les rôles qu'elle interprétait. En tant que spectateur, cette actrice à toujours attisé chez moi un sentiment étrange. Un visage adorable et maternel monté sur un corps splendide, sexué et désirable à l'extrême. Une dichotomie certainement inacceptable pour Hollywood qui veut voir en l'image de la femme soit une femme-enfant (attisant ce sentiment interdit pédophilique, Miss Jessica Alba) soit la femme fatale froide et inaccessible (Nicole Kidman).

Je vois sa carrière de manière assez similaire à celle de Mickey Rourke, avec des hauts mais surtout des bas. Et le film est la parfaite métaphore de leur vie respective plutôt ratée, toujours d'un point de vue Hollywoodien bien entendu.

  Je pourrais partir dans des théories plus ou moins fumeuses sur la métaphore entre le spectacle du catch et le spectacle cinématographique. Ou encore faire un exposé sur ce type de cinéma où l'on ne sait plus où sont les vraies blessures physiques de celles maquillées. Je pourrais parler de cinéma/documentaire/fiction/réalité bien sûr ou épiloguer sur la brillante mise en scène d'une simplicité et d'une sécheresse tout à fait poignante ,mais ce serait passer complètement à côté du film.

  The Wrestler est un film simple qui se vit et qui se ressent dans la chair en articulant ses émotions mentales autour de la beauté de l'échec avec une force et une passion d'une rare intensité dramatique.

  Le film commence la nuit et se termine la nuit.


Ce qui se joue le jour est encré dans la réalité que nous connaissons tous.

Une réalité crue, ennuyeuse, difficile, verdâtre et pleine de responsabilités insurmontables pour des gens trop abimés par la vie.

La nuit, ce sont les paillettes, le strass. L'argent en espèce circule de main en main. Les éclairages et les couleurs sont chauds, masqués par la fumée des cigarettes. La nuit, les gens sont toujours plus beaux, les corps luisent et se touchent. La nuit, les rêves se paient et s'achètent. Mickey/Randy/The Ram et Marisa/Cassidy, on les reconnaît entre tous, ils sont spéciaux nos héros de pacotille.

Le mensonge du spectacle est le seul acceptable et nécessaire pour Randy et Cassidy. Et bien entendu, pour le public.

Le jour, les rêvent se gagnent. Le jour, ces deux là sont faibles, fatigués, les traits du visage sont tirés, les crevasses de la vie sont imprégnées dans la peau. Ils plissent les yeux, éblouis qu'ils sont par le soleil blanc inquisiteur. Ils se transforment en un autre non fantasmé poursuivis par les mêmes blocages que tout un chacun, acculés par les responsabilités et les regrets.

Le jour, le théâtre antique ne joue pas.

Il a bossé toute sa vie pour obtenir le respect du monde du catch et il l'a gagné, mais ce gain lui à coûté sa vie personnelle, sa fille et sa femme. Il n'est plus qu'une enveloppe d'images factices de lui même. Il est toujours plus aisé de vivre par l'image de soi, et je ne peux le trouver lâche. Il est tout bêtement trop sensible, trop faible, fracassé par je ne sais quel lourd passé insurmontable.

Je crois que tenter de vivre avec les gens dans la lobotomie et l'ennui du quotidien demande une force herculéenne pour une personne qui est en fuite permanente vis à vis de ses propres échecs.

Mais il est à contrario tout aussi courageux de demander autre chose à la vie.

Alors la journée, il erre, fait quelques heures de boulot à la boucherie du coin, amuse les

mômes en attendant les prochaines dates de combat.

Il est seul. Et l'unique moment de sa vie où il sait pourquoi il est sur terre et encré dans le sol est le ring. Vient un jour où il est forcé d'arrêter le catch. C'est le moment de se ranger et de s'aligner sur le monde, de recontacter sa fille qu'il ne connait pas, d'avoir une petite amie ainsi qu'un boulot régulier.

Tout un programme qu'il sait à l'avance qu'il ne pourra tenir.

Alors il ira jusqu'au bout, il ira là où on l'aime et où on l'admire, le ring. Il ira là où tous ses amis sont présents, les catcheurs, le public, les fans de la première heure.

Il incarne la défaite totale de notre civilisation où la loi préhistorique du plus fort est toujours en vigueur. Il est notre Jésus de pacotille, notre martyr ridicule des temps modernes, notre Dalida qui voulait mourir sur scène.

Et on l'aime.

"Un catcheur peut irriter ou dégoûter, jamais il ne déçoit, car il accomplit toujours jusqu'au bout, par une solidification progressive des signes, ce que le public attend de lui. Au catch, rien n'existe que totalement [...] tout est donné exhaustivement; [...] Cette emphase n'est rien d'autre que l'image populaire et ancestrale de l'intelligibilité parfaite du réel. Ce qui est mimé par le catch, c'est donc une intelligence idéale des choses, c'est une euphorie des hommes, haussés par un temps hors de l'ambiguïté constitutive des situations quotidiennes et installés dans la vision panoramique d'une nature univoque, où les signes correspondraient enfin aux causes, sans obstacle, sans fuite et sans contradiction. [...] Sur le ring et au fond même de leur ignominie volontaire, les catcheurs restent des dieux, parce qu'ils sont, pour quelques instants, la clef qui ouvre la Nature, le geste pur qui sépare le Bien du Mal et dévoile la figure d'une justice enfin intelligible."

In Mythologies de Roland Barthes – éditions du Seuil, 1957.


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