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L'âne et la bergeronnette

Par Mafalda

L'âne se mit à braire. Tous ceux qui l'entendirent furent épouvantés de cette voix, ils s'écrièrent : "Horrible !004 horrible !" et ils détournèrent la tête.
Le soleil commença à briller. Tous ceux qui le ressentirent, se réjouirent de ses rayons, levèrent les yeux vers lui, s'écrièrent avec enthousiasme : "Comme c'est beau !"
Un âne a, lui aussi, son amour-propre, et les sentiments de cet âne, hélas ! étaient blessés. Il dit, en secouant la tête, et pour mieux marquer son mépris, il se mit à braire bruyamment : "Hi ! han ! Plus vite que la paille pousssée par le vent, les fous s'élancent après tout ce qui brille : tel est le goût du jour. L'on se détourne de tout ce qui est sain, et l'on donne des éloges aux apparences du soleil, et l'on ne m'en donne jamais à moi ! Tous ingrats, et frivoles, vous dis-je. Car si j'étais le soleil, je recevrais les flatteries de tous ces gens, les mêmes qui s'enfuient devant moi maintenant. Cependant si j'étais le soleil, qu'est-ce que je pourrais faire de plus pour eux, je vous le demande, sinon ce que j'ai déjà fait en ma qualité d'âne ? Evidemment je n'aurais rien d'autre à faire que de briller. Briller ou être vu, tout cela doit revenir au même, et il n'y a pas grand mérite à cela, je présume ; il suffit pour cela d'être un "soleil".
Une bergeronnette hocha la tête. L'âne fut content. "Il est clair que tu m'as compris, toi," dit-il. La bergeronnette hocha de nouveau la tête.
"Et ma voix a-t-elle donc quelque charme pour toi ?" Les hochements affirmatifs se multiplièrent. "Oiseau plein de bon sens, je vois que nous sommes faits pour nous comprendre, reprit-il, encouragé. N'y a-t-il pas une sotte exagération dans cet éloge qu'on fait au soleil ? Non, non, je ne suis pas injuste, je pense, j'admire, je me réjouis comme cela convient (bien que tout cela finisse par de la poussière), j'admire cet éclat tout superficiel du soleil, quand il y a quelque part de l'ombre suffisamment, car, sans l'ombre, que serait la lumière ! Or le soleil n'a pas la moindre trace d'ombre. Lorsqu'il répand ses torrents de feu sur la prairie, on est obligé d'aller chercher de l'ombre au pied d'un mur. Et cela, c'est une lacune que je déplore, l'ar véritable se montre exclusif. Une diffusion surabondante est "le vice d'un style vulgaire. Le riche est rarement prodigue. Il y a du feu dans le soleil, c'es incontestable, mais de l'art... Bon, qu'on en cherche ! Je n'en aperçois pas la moindre trace. Si la moindre foliole verte a la chance de recouvir la plus belle des pêches, il passe tout près sans les apercevoir, tout comme si elles étaient à des milles hors de sa portée. Mainte belle statue, quelque dieu ou déesse de marbre, quelque travail grec, il laisse l'objet dans les ténèbres et l'humidité de leurs grottes, de leurs bosquets, de leurs sources ; répandre sa poudre d'or sur les insectes les plus communs, est-ce là une occupation convenable pour une étoile à laquelle il est donné d'aller et de venir tout le long du jour ! Contemple-moi, petit oiseau ! Je suis loin de comparer mes humbles faculté avec celles de cet astre sans principes. Mais pour perfectionner celles que je possède, j'ai une occupation pratique. Sans cela, je ne fais pas le moindr cas d'une brillante imagination ; je n'ai aucune estime pour le génie et l'esprit quand il leur manque le travail, le ton moral sérieux, la consécration authentique du travail, du travail accompli avec obstination. C'est avec orgueil que je vais et reviens portant des sacs de grain au moulin, et des sacs de farine à la ville. Ainsi, tout en étant utile aux autres, j'ai la conscience parfaitement nette de l'honneur qui m'est conféré, du droit qui m'est reconnu. C'est là un privilège, petit oiseau, et les paresseux ne l'obtiennent point."
A tous ces propos vantards que l'âne prononçait d'un ton solennel, la bergeronnette hochait la tête comme si elle en eût reconnu la vérité.
Et l'âne reprit : "Incontestablement, le parc à l'épais gazon n'est point pour moi ; le jardin potager où les beaux choux sont alignés, je ne l'ai vu que par-dessus le mur. Quand au coffre à avoine, je n'en ai jamais tâté. Le champ d'avoine ondulante m'est parfaitement étranger, et le foin parfumé est un régal interdit à mon modeste menu. Ce sont des douceurs que je ne connais pas même en rêve. Le chardon, ce parent belliqueux du maladif artichaut, voilà ce que j'ai appris à connaître et à estimer, c'est la ration que je m'offre quand je l'ai bien gagnée ; alors je ne porte point envie aux gourmets dépensiers. Il ne m'est donc point difficile, n'est-ce pas, lorsque j'élève la voix et lance des hymnes sonores et louangeurs, de chanter les oeuvres de la vertu, et ses jours employés à bien faire. Les autres, gens sans réflexion, s'enthousiasment devant les beauté tout accidentelles des rayons du soleil. Et tous se bouchent les oreilles en poussant un cri et prennent la fuite dès que je me fais entendre, et n'attendent pas une minute, non, pas même une minute ; ils ne me laissent pas même commencer ; on dirait vraiment que le diable s'en mêle. Pourquoi font-ils cela, pourquoi ? Je me le demande."
bergeronnetteCe digne baudet avait-il été content de l'approbation tacite de la bergeronnette ? Nous ne saurons jamais, hélas ! ce qu'une bergeronnette pense d'un âne.
Mais lui, impatient, comme cela se compren aisément, après les longs propos qu'il avait débités, de n'obtenir autre chose pour toutes ces théories que cet éternel hochement de tête, qui se produisait toujours de la même manière, se décida à demander à son auditeur une opinion plus détaillée relativement au sujet qu'il venait de traiter. Alors la bergeronnette s'élança de son perchoir, et sauta sur une pierre qui faisait saillie au-dessus du niveau du ruisselet, et répondit : "Je n'ai pas compris un seul mot de tout ce que vous venez de dire."
"Pas un mot ! s'écria l'âne au comble de l'étonnement, pas un mot de tout ce que j'ai dit, de tout, ce que j'ai voulu dire ? Et cependant, j'en suis sûr, autant qu'un âne peut en croir ses yeux, à chacune de mes phrases vous avez répondu par un hochement approbatif."
"Un hochement, dit la bergeronnette, oui, mais que ce hochement fût approbatif, ami, c'est là une erreur ; j'ai hoché la tête, c'est mon geste familier, qui vient de ce que je suis une bergeronnette, moi, et le soleil, lui aussi, brille là-haut, bien haut, justement parce qu'il est le soleil. Et vous de même, comme vous le dites, vous vous laissez charger de sacs, et vous les portez tous les jours, et personne au monde ne vous témoigne de gratitude, justement parce que vous êtes un âne."
Alors la bergeronnette prit son vol et s'éloigna à travers les arbres, à travers le feuillage.
Et cette fable est finie.

LORD LYTTON


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