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Conte d'Alsace

Par Mafalda

Sur les rives du Rhin, dans notre vieille Alsace, là-bas, au cher pays vers lequel se tournent tous les yeux dans un regard mêlé de larmes et d'espérances, on a gardé profond et vivace le souvenir de la patrie.
Souvent, aux jours de grandes fêtes, les jeunes filles aux longues tresses d'or envient le temps où leurs mères, plus heureuses, étoilaient le large ruban noir d'une cocarde tricolore et, furtivement, prennent la chère relique dans le tiroirs aux souvenirs et l'essaient devant la glace ; mais en cachette, après avoir tiré les rideaux, car si le bourgmestre venait à passer... Puis le soir, à la veillée, quand le sarment pétille dans l'âtre, que 'aïeule file sa quenouille au coin de la cheminée et que les petits sommeillent sur les genoux de leurs mères ou gazouillent dans leur berceau - charmant babil de l'enfant qui s'endort et continue avec les anges sa petite conversation du soir - les vieillards secouant gravement la cendre de leurs grosse pipes, devisent tout bas des anciens jours, et racontent parfois quelque touchante histoire, quelque glorieuse aventure où l'on parle de nous de la France !
Ils disent que, la nuit, quand la plaine est déserte, que tout dort au village et dans les alentours, on entend résonner, mêlées à la plainte du vent à travers les branches, les fanfares des clairons ; et que dans le lointain, au flanc des vertes collines, passent des escadrons dans des éclairs de feu et de fumée. Puis ils disent aussi, qu'aux murs des citadelles, où flottent tout le jour, comme un vivant affront, les étendards allemands, dès que les douze coups de minuit on gravement tinté au cloche de la cathédrale de Strasbourg, on voit partout briller, malgré les sentinelles, les trois couleurs de nos drapeaux.
Une toute petite Alsacienne, Francette, la mignonne fille du grand Fritz et de la blonde Lisbeth, croyant de tout son coeur à ces touchantes légendes, résolut de passe une nuit dans le Champ du Combat là-bas, près du petit bois, pour voir, elle aussi, ces fiers soldats français que son aïeul et son grand oncle entendaient pendant leurs longues insomnies, et dont il lui semblait, par les nuits claires de juin, voir l'ombre se profiler sur les rideaux de son lit d'enfant.
Or, un soir, voyant ses parents endormis, elle se glissa furtivement hors de sa chaumière, sans bruit, ses petits sabots à la main ; puis sous la pâle clarté de la lune, pris sa course vers le Champ du Combat. Et là, l'oreille au guet, les yeux grands ouverts, la mignonne attendit.
C'était par une nuit merveilleuse et sereine, où les grillons chantaient dans les blés endormis tout émaillés de fleurs, où les coccinelles s'assoupissaient au sein des roses, où le papillon sommeillait au coeur des grands lis, tandis que, là-haut, les étoiles d'or se penchaient sur la plaine pour voir les vers luisants, leurs frères de taillis, se poster dans les mousses vertes afin d'éclairer les sentiers assombris. Dans le bois tout chantait, la brise en passant baisait le front rosé des petites centaurées ; le zéphir, dans les rameaux, murmurait doucement sa chanson aux jeunes feuilles, le rossignol lançait ses trilles sonores, et là-bas, sur l'étang, les larges nénuphars se miraient dans l'eau claire, tandis que le ruisseau jaseur caressait, en riant, les cailloux blancs et roses de son lit.
Minuit sonna. Les grands yeux bleus de Francette se fermaient doucement. Appuyée contre une vieille roche toute moussue, elle sentait ses petites idées devenir confuses, sentiment vague et charmant qui tient de la veille et du rêve.
Tout à coup, une vive clarté l'environna, rougeoyant les coteaux, flamboyant dans les branches ; un bruit sourd qui augmentait en se rapprochant, fit résonner le sol, se répercutant dans tous les échos de la colline. Et dans la nuée lumineuse, voici que passèrent, au grand galop, des régiments entiers : cuirassiers resplendissants, hussards chamarrés de brandebourgs, dragons, lanciers. Puis tête haute, nos braves petits fantassins, tous drapeaux et clairons en tête. Et quand le dernier bataillon défila devant elle, le porte-drapeau se détacha du groupe, descendit dans le Champ du Combat, s'approcha de Francette, ébahie, charmée, et, dans ses petits bras, déposa le drapeau. Un étendard superbe, tout en soie, frangé d'or, dont les trois couleurs ondoyaient victorieusement dans la brise douce et parfumée de cette tiède nuit d'été. En même temps les cloches du village et celles des églises voisines sonnaient à toutes volées ; les fleurs tricolores étoilant les blés se dressaient joyeusement comme pour dire : "Et nous, ne portons-nous pas aussi les trois couleurs de la Patrie ?"
Francette se baissa et, de ses petites mains cueillis, en les baisant, coquelicots, bleuets, marguerites, dont elle couronna glorieusement la hampe dorée du drapeau. Et les clairons sonnaient la charge, les tambours battaient, mêlant leurs roulements graves aux hennissements des chevaux ; tandis que les oiseaux gazouillaient doucement sous les rayons de la lune attendrie.
Mais, tout à coup, le coq chanta, l'aube blanchit le contour des collines... et Francette ouvrit les yeux. Autour d'elle plus rien, ni cavaliers, ni fantassins ; dans ses bras, point de drapeau ; mais seulement une grosse gerbe tricolore où les blanches marguerites faufilaient leurs collerettes entre les barbes des bleuets sous les larges pétales transparents des coquelicots. Et comme de ses yeux encore ensommeillée, la mignonne interrogeait l'horizon, là-bas, dans la direction de Strasbourg, elle crut voir un bel ange qui, rapide, remontait au ciel emportant le drapeau dans ses bras, et qui, au moment de disparaître, se retourna vers le Champ du Combat, disant : "Adieu, Francette." Et la petite Alsacienne, pieusement, répondit : "A bientôt, France !"

Jacques AVRIL


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