Trois petits amis eurent une fois chacun un rêve qu'ils se racontèrent ainsi :
L'aîné commença : "Je me trouvai, je ne sais comment, dans le jardin du Paradis terrestre. Le parfum des fleurs me pénétrait. Un ruisseau sautillait et glissait entre les roseaux, allant, par cent détours, se perdre dans un verger. Là, les arbres ployaient sous leurs fruits, les branches s'abaissaient devant moi et je n'avais qu'à étendre la main pour me rassasier. Les oiseaux chantaient, invitant au repos pour les écouter. J'étais heureux ; mais en me regardant dans une source, je me vis grandi, avec des moustaches comme un homme. Le temps passait vite en ce lieu : pourtant, au bout de l'horizon, un parc m'attirait. J'y courus. Un palais merveilleux s'élevait. Des seigneurs, des belles dames, vinrent à ma rencontre et m'invitèrent à leur table. Comme eux, je portais de riches vêtements et, ce qui me paraissait fâcheux, des cheveux gris. Au moment où le maître du palais me montrait ses trésors, la bonne m'a éveillé...
- Quel dommage, dirent les autres enfants ; il serait agréable de réaliser un rêve semblable !"
Le second parla à son tour : "A moi, mes amis, il me semblait que j'avais des ailes et que je volais d'étoile en étoile. Les unes, scintillantes comme des escarboucles ; les autres, vaporeuses comme des nuages, tournaient dans l'espace, plus nombreuses que les grains de sable de la mer. J'entendais une musique invisible ; mon esprit grandissait et savait toutes chose par inspiration. J'admirai ce spectacle de toutes les forces de mon âme. A la fin, un voile sombre a passé sur mes yeux et m'a caché ma belle vision.
- C'est attristant ! firent les enfants ; ton rêve devait être plus grand que le premier.
- Mon rêve et bien humble et bien pauvre, commença le troisième. Je passais dans les champs couverts de neige, tout en jetant du pain aux petits oiseaux affamés. Dans le sentier, un enfant chétivement vêtu est venu à moi. Il grelottait si fort que je retirai ma veste pour le couvrir et l'emmener à la maison.
"Nous avons couru ensemble afin d'arriver plus vite ; mais bientôt la fatigue l'a forcé de s'asseoir au bord du chemin. Je l'ai porté sur mes épaules : il me semblait si léger que je ne sentais pas ma peine. Mais à notre porte, lorsque j'ai revu sa figure, je suis tombé à genoux. C'était l'Enfant Jésus, oui, le Christ ! Il m'a embrassé, relevé, et a placé sa main sur mon coeur. J'ai senti comme une flamme l'embraser. Tout riait en moi. Je n'avais rien et j'étais riche pourtant. J'aimais tout le monde comme ma mère ! Je voulais suivre le Seigneur, mais il m'a montré la maison en me disant : "Ici est ton devoir." Une grande lumière l'a aussitôt entouré et enlevé au Ciel, toujours vêtu de ma veste. J'étais si sûr de mon rêve que j'ai été étonné, ce matin, de retrouver mes habits à leur place.
- Voici le meilleur rêve, conclurent les enfants. Nous, nous avons entrevu l'existence heureuse ou la satisfaction de notre esprit ; toi, tu as eu le rêve qui contente le coeur et que tu pourras remplir durant ta vie : les pauvres ne manqueront jamais à notre charité."
Ch. SCHIFFER