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Visualisation et schématisme

Publié le 13 juin 2009 par Gregory71

Ces derniers mois de plus en plus de données sont disponibles sur Internet sous la forme de tableau (.csv) pouvant être transformées en images selon des formes récurrentes (Tag Cloud, Wordle, Word Tree, Phrase Net, Bar Chart, Block Histogram, Network Diagram, Pie Chart, Treemap, etc.). Cette mise à disposition des données a sans été faite dans le sillage de la volonté du président américain de rendre accessible des informations brutes sur data.gov.

La complexité du réseau est pour une part liée au fait qu’il s’agit d’un medium sur lequel s’inscrit une quantité importante de singularités. Cette quantité d’inscription entraîne une transformation dans la constitution même du savoir. Il suffit pour comprendre cela d’imaginer le travail des historiens dans quelques décennies lorsqu’ils devront naviguer dans les disques durs comme source d’archives.

La navigation dans un grand stock d’informations est une problématique importante de l’après-coup réflexif du réseau: comment saisir en un coup d’oeil (le clin d’oeil chez Nietzsche) une grande somme de données? On propose à cette fin des visualisations, diagrammes et autres graphes permettant de représenter des  tableaux dépassant quantitativement notre capacité de réception. Le passage entre ces données discrètes et ces images continues reste une articulation à penser et à analyser pour comprendre le devenir historique du réseau que nous formons les uns avec les autres.

On retrouve peut être en elle certains traits du questionnement kantien sur le schématisme, c’est-à-dire sur la présence de schémas préexistants à la perception discontinue des phénomènes, schémas que Kant devait fonder sur une structure transcendantale a priori pour en démontrer la genèse (problème classique de l’unité du commencement). On peut dès lors s’interroger sur la relation entre ce schématisme et ces visualisations. Ne doit-on pas les rapprocher de cette fonction de l’imagination que Kant nommait les diagrammes dans la troisième critique et qui lui permettait d’aborder, de facon quelque peu obscure, une structure transcendantale de l’imagination?

D’un point de vue esthétique, on peut problématiser les présupposés de telles visualisations en distinguant celles qui sont fondées sur le schématisme (comme c’est la plupart du temps le cas) et celles qui opèrent sur l’imagination. Ces dernières (par exemple Waiting) ne réduisent pas le fourmillement discontinu des données. On pourrait donc penser qu’elles ne réalisent pas ce qu’elles devraient réaliser, c’est-à-dire une réduction. Mais c’est le sens même de cette réduction, qui est au coeur de toutes opérations de numérisation informatique, qu’il faut interroger quant à ses présupposés les plus fondamentaux. Peut-on inventer un art, c’est-à-dire une imagination entendue comme capacité à produire des images, qui se fondant sur des technologies réductionnistes fonctionnent sur des visualisations non-schématiques? Ou encore: peut-on faire des images qui laissent une place aux singularités, au grondement des anonymes et des insularités? Ne serait-ce pas là une manière d’envisager le fonctionnement de l’imagination dans sa singularité sans la soumettre aux opérations de schématisation de l’entendement? Ce dernier se comporte à la manière d’une courroie de transmission entre la raison et la perception et de ce fait réduit ce qui appartient singulièrement à elle afin qu’elle corresponde au jeu de la raison.


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