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Syndrome court

Publié le 13 juin 2009 par Menear
J'ai reçu cette semaine le deuxième numéro de la revue Cyclocosmia fraîchement parue. J'ai commencé à la feuilleter comme n'importe quelle revue puis suis tombé sur mon texte Melliphage publié dans ce numéro. Je pensais ressentir quelque chose à la lecture de ces lignes imprimées papier, une émotion particulière, peut-être, et rattraper qui sait celle que j'ai loupée lors de la parution dans mon dos d'Assimilation dans Transfuge(s) en 2007. Raté. J'ai lu ces lignes sans plaisir, un peu triste je crois, surtout déçu de n'avoir rien accompli avec ce texte de quelques pages. Ce n'est pas un problème d'ambiance, elle y est, il ne s'agit pas non plus de lacunes techniques, car il me semble que j'ai techniquement porté ce texte jusqu'où je pouvais. Non, cette nouvelle est inutile, plutôt, on la mâche longtemps pour bien peu de résultat. Elle manque d'âme, voilà. Elle manque d'âme.
Ce n'est pas nouveau, c'est un problème que je rencontre fréquemment. Je ne sais toujours pas comment écrire des nouvelles, des textes courts. J'essaie vaguement mais ça ne fonctionne pas ou si peu. Il y a quelques années Sablier était brouillonne et trois fois trop longue mais avait au moins le mérite d'aller quelque part. Idem pour Ochracé et Scapulaire qui proposaient quelque chose (maladroitement d'accord, mais ce n'était pas des trompe l'œil). Tous les autres trucs écrits avant et depuis, dans l'ensemble, sonnent plutôt creux, Melliphage">Melliphage compris. Je crois – invente, imagine – que tous ces échecs manquent en fait d'acidité, de violence.
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Autre exemple, ce texte lâché il y a quelques semaines et envoyé dans la foulée au gratuit Delicious Paper, non retenu. Je le copie/colle ici car je ne saurai pas où le mettre ailleurs. Titre possible : Les tics du cordon. Là encore je suis allé au bout de ce que je souhaitais faire : je me suis simplement rendu compte après coup que ce que je souhaitais faire ne m'emmenait pas loin.
Je suis (ils m'ont appelé) Javier, Zain, Adam ou autre. Adam, je ne déteste pas. Au moins c'est honnête. Ça déborde de bonnes intentions (symbolisme bien pensant, certains disent). Tellement bien pensant que le kitch ressort. Tellement kitch qu'on pourrait le punaiser rose fushia sur le mur d'une chambre adolescente. Tellement adolescente que ça pourrait être la mienne.
Je suis (ils auraient pu m'appeler) Levothyrox slash Cervarix slash Tamiflu slash Prozac. Plus compliqué à épeler mais c'est une possibilité. Je suis (la presse m'a appelé) le bébé-médicament-du-troisième-millénaire. Du moins durant les jours de l'avant, pendant, après insémination in-vitro. Avant, pendant, juste après grossesse. Passé l'accouchement, la guérison du grand frère slash de la grande sœur, ce nom m'est tombé des bras qui ne tenaient plus rien. Passé l'accouchement, c'était différent déjà, et le fait est qu'on ne m'appelait plus du tout.
La grande sœur slash le grand frère avait, a, aura un nom normal. Un prénom de tous les jours qu'on connaît sans connaître, qu'on écrit sans buter. Le grand frère slash la grande sœur avant était malade mais ne l'est plus. Une histoire de maladie génétique super-rare (ils disent) ou d'anémie congénitale (les journalistes disent) ou de bêta-thalassémie majeure (les médecins disent). Ça veut dire qu'avant moi la grande sœur slash le grand frère manquait de rouge dans le sang. Ça veut dire qu'avant moi vivre correctement c'était compliqué. Qu'on avait besoin d'injection de bébé-médicament à l'intérieur pour faire couler tout ça. Ça veut dire, en gros, qu'on avait besoin de moi et que je ne suis pas né pour rien.
Venez voir ma chambre (j'ouvre la porte), elle est vide. Je suis devenu, au fil du temps, un maniaque de la propreté des choses. Rien ne dépasse et la poussière je ne la supporte pas. C'est un trait de mon caractère (ils précisent) qui n'a rien à voir avec l'éprouvette qui m'a un jour porté. Je suis un corps comme tout le monde (ils constatent), juste que je préfère m'asseoir par terre et attendre que le temps passe sans rien faire ni bouger. Le reste du temps je range : on est bien comme on peut. Encadrée au dessus de mon lit : la photo-Polaroïd de l'éprouvette qui m'a un jour porté (j'aimerais pouvoir le dire mais c'est faux). Éprouvette (ils définissent) : art d'éprouver.
Venez voir la chambre du grand frère slash de la grande sœur (je pousse la porte), elle est vide aussi. La grande sœur slash le grand frère n'est pas souvent là la journée ou la nuit. On a des amis qui sortent et qui font sortir, qui boivent et font boire, qui fument et incitent à fumer. On a des amis qui se droguent des fois ou fuguent aussi. On a des amis adolescents-normaux (les parents disent), ça passera (les parents disent aussi), on espère que ça va passer (les parents ajoutent en fermant la voix). Le grand frère slash la grande sœur a fugué une fois, il a fallu appeler la police puis le retour dans la nuit derrière un gyrophare. Au moins on est en bonne santé, on profite de la vie (ils disent pour rassurer quelqu'un mais j'ignore qui ça peut être). Au moins on a du sang rouge qui coule sous la peau et des fois on l'ouvre un peu pour vérifier qu'il est bien là.
Plus tard (j'explique) je serai pompier ou chômeur ou architecte. Plus tard (je sais) je ne serai ni médecin ni rien de tout ça. Pourtant (ils disent souvent) je dois être habitué à sauver des vies maintenant et je réponds oui en souriant poliment et mes parents déglutissent. Je suis (ils savent) un bébé-médicament très bien élevé, même à présent que je n'en suis plus un et que j'ignore quoi être pour dépanner. Mais (ils bafouillent vite pour se rattraper) c'est quand même vachement bien ce que t'as fait pour ta grande sœur slash ton grand frère. Oui (je réponds), c'est vachement bien.
D'après les spécialistes (les journaux de l'époque racontent), il a fallu écarter au moins quinze embryons avant de tomber sur un fœtus sain slash normal slash immuno-compatible. Parfois je pense à ces quinze copies erronées de moi-même et je me sens moins seul sur le sol de ma chambre. D'autres fois je vois juste la viande emportée par la chasse d'eau lâchée, puis la lumière éteinte dans la foulée d'un gant blanc. Mais (on me demande et m'ordonne) je ne dois pas penser à ces choses là qui me dépassent.
Plus tard (j'espère), allongé sur le sol de mon psy (ils disent qu'il faudrait sans doute), je parlerai à quelqu'un de tout ça et ce quelqu'un prendra des notes quelque part où tout existera. Je raconterai ce qu'il faudra raconter et percerai en moi ce qu'il y aura à percer. Le ton de ma voix sera le même que celui qui a toujours été et ne pourrait pas ne plus être. Je ne dois pas (le docteur Machin expliquera) laisser mes origines biologiques dicter le cheminement de ma vie présente (ou quelque chose comme ça). Oui (je répondrai) et je laisserai ma vie présente se construire autour de l'éprouvette qui m'a toujours porté. Ce sera ma déviance, pathologie, mon alcoolisme. Le grand frère slash la grande sœur pourra expérimenter la santé chaude des corps normaux, jusqu'à l'autodestruction peut-être, si ça lui chante, et moi je me laisserai couler dans mon Polaroïd désert, je vivrai la vie de ceux qui s'en fichent. Je regarderai les autres de loin et ce sera tout. J'ai déjà tout vécu avant de commencer à vivre (ils diront et certains répèteront à d'autres et le bon mot se propagera), à présent j'ai bien le droit de rester un peu à l'écart. Je cultiverai ma déviance, pathologie, mon identité (j'ai hâte). Je fermerai la porte derrière moi, personne n'osera plus l'ouvrir. Merci au docteur Machin et à l'alibi qu'il contre-signera, je me paierai le luxe de l'inutilité. Là (enfin) je pourrais souffler, je commencerai à vivre.
Je ne sais toujours pas comment résoudre ces lacunes, éradiquer ce syndrome. D'ici là je reprendrais Cyclocosmia 2 que je n'ai pas encore eu le temps de poursuivre, il n'y a pas de raison que le reste de la revue pâtisse de ces mauvaises impressions personnelles. En parallèle avancent les dernières relectures de la deuxième partie de Coup de tête (dernier week-end). Le texte est bien ancré et je suis convaincu, enfin, signe sans doute que je ne perds pas totalement mon temps avec ces choses là.

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