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Loi Hadopi : Et le canard était toujours vivant…

Publié le 13 juin 2009 par Savatier

 Peut-être se rappellera-t-on ce vieux et savoureux sketch de Robert Lamoureux dans lequel l’humoriste racontait les mésaventures d’une famille de français moyens ayant acheté un canard vivant et qui, pendant toute une semaine, avait tenté de l’abattre pour le cuisiner, sans autre succès que la démolition partielle de leur appartement.

La loi Hadopi semble aussi résistante que le canard de l’histoire. Après avoir été rejetée par surprise, votée en vertu de la discipline majoritaire, sérieusement amputée par le Conseil Constitutionnel, elle sera finalement promulguée dans les jours qui viennent. Le canard (qui, en musique, désigne une fausse note, ce qui ne pouvait pas mieux tomber) a, au passage, perdu quelques plumes et un peu de ses ailes, mais il est bel et bien « toujours vivant. »

Le PS, qui s’est réjouit sans retenue de la décision des Sages de la rue de Montpensier, n’avait cependant guère de raisons de triompher. En effet, si l’on doit aux députés de ce parti l’initiative de la saisine du Conseil constitutionnel qui a permis les modifications que l’on sait, il ne faudrait pas oublier que les sénateurs du même parti avaient voté sans état d’âme le texte en première lecture et n’avaient volontairement pas participé au vote lors de la dernière lecture. Voilà qui fait penser à ce mot de Pierre Dac, l’une des voix de la France Libre à Radio-Londres, qui disait avec un humour corrosif son admiration pour ces résistants de la dernière heure qui, de 1940 à 1945, avaient « courageusement résisté à leur ardent désir de faire de la résistance ! » Voilà aussi une attitude qui contribue à l’illisibilité du message d’un parti qui semble avoir bien du mal à se définir.

Le plus important, dans la décision des Sages, réside, quoiqu’on en dise, moins dans le

supposé revers infligé au Président que dans le sain rappel des principes fondamentaux et intangibles de la République. La référence à la Déclaration des droits de l’homme de 1789 revêt en effet une symbolique forte. L’article 9, qui proclame la présomption d’innocence, protège tout un chacun, tant il est vrai, comme le désastre d’Outreau l’a démontré, qu’il est souvent bien difficile à un individu qui n’a rien à se reprocher d’en apporter la preuve. La référence à l’article 11, qui reconnaît comme « l’un des droits les plus précieux de l’homme » la « libre communication des pensées et des opinions », en incluant Internet parmi ces moyens de communication dont l’accès doit rester libre, actualise de facto une situation née du progrès technologique, rejoignant la position des Eurodéputés et réduisant à néant la contestation – qui relevait de l’autisme face aux évolutions de la société – du libre accès à la toile comme liberté fondamentale. C’est donc en toute logique, que, se référant aux deux articles cités, le Conseil a rappelé que seul le juge judiciaire pouvait prononcer une sanction privant un individu de l’une de ses libertés et non une autorité administrative, préservant ainsi la séparation des pouvoirs.

On notera au passage que ces arguments fondés sur la protection des principes républicains, maintes fois avancés par les experts et les internautes durant la discussion de la loi Hadopi devant le parlement, n’émurent ni les sénateurs socialistes, ni les artistes (ou supposés tels) favorables au texte. Ces derniers, si prompts d’habitude à s’insurger contre la moindre restriction des libertés – au point que certains en ont fait leur lassant fond de commerce – ont prouvé à cette occasion que leur bonne conscience savait rester discrète lorsqu’en contrepartie, ils pouvaient préserver leur pré carré. Le cœur a ses raisons, que les intérêts corporatistes et financiers n’ignorent pas, fut-ce au prix de l’instauration d’une présomption de culpabilité qui n’a pourtant guère cours aujourd’hui que dans les dictatures plus ou moins exotiques.

Si l’on peut comprendre que les inspirateurs et les auteurs de la loi Hadopi y restent attachés, en dépit des arguments solides qui en soulignent les dangers, on reste confondu devant l’absence d’imagination des politiques, des artistes et des professionnels à proposer des solutions alternatives. Le paysage se réduit à cette loi, comme si elle était l’unique moyen de lutter contre le piratage. Pire encore, le raisonnement binaire qui en découle voudrait faire passer ceux qui trouvent ce texte contestable et inadapté pour des complices des pirates.

Du côté des représentants des droits d’auteurs, on se contente de s’étonner avec candeur : « On n’avait pas le sentiment que ce dispositif dérogeait à des principes fondamentaux. On nous avait laissé entendre que toutes les garanties avaient été prises », dit-on à la Sacem. Chez les majors et les circuits de distribution, la consternation est à la mesure de leur refus de proposer une offre légale adaptée et abordable. A titre d’exemple, une grande boutique en ligne propose le DVD d’un film récent (Entre les murs) à 19,99 € alors que son téléchargement en ligne est facturé 14,99 € ! Il en est, parmi eux, qui prétendent même regretter la « pénalisation » de la loi induite par la décision des Sages, sensée aboutir à des sanctions plus sévères, comme s’ils niaient au juge judiciaire la capacité de moduler la peine en fonction du contexte et du prévenu qu’il aurait à juger. Molière aurait souri d’une pareille tartufferie.

Quant aux politiques, on attend encore de leur part des suggestions concrètes qui permettraient de préserver les droits des créateurs tout en étant réellement adaptées à l’état de l’art technologique et économique. Sont-ils sourds à la parole des experts ? Ont-ils d’autres chats à fouetter ? L’un des plus attendus sur la question, Jack Lang, à qui l’on doit une loi qui a su avec bonheur préserver en France l’existence de vrais libraires, s’en tient à la loi Hadopi ; il avait cependant fait preuve, en son temps, d’une créativité plus fertile. Nous en sommes donc là, dans l’espoir qu’un système efficace, et pragmatique, basé sur un modèle économique réaliste soit proposé. En attendant, comme le répétait Robert Lamoureux de son inimitable voix nasillarde, le canard est toujours vivant !


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