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Propagande & contrôle de l’esprit public, par Noam Chomsky

Publié le 13 juin 2009 par Jcgrellety

"Il faut bien comprendre que la guerre menée contre les travailleurs est une vraie guerre. Cette guerre est en même temps ancienne et nouvelle et, si elle se mène de façon parfaitement consciente à peu près partout, c’est plus particulièrement vrai aux États-Unis. Les milieux d’affaires y ont une conscience de classe très marquée et en même temps c’est un pays très libre, ce qui permet d’obtenir beaucoup d’informations. Ils parlent et on peut avoir accès à leurs propos. Ils considèrent depuis longtemps qu’ils mènent une guerre de classe très âpre, même s’ils ne veulent pas que ça se sache.

  • 1  Doug Fraser est l’ancien président du syndicat de l’automobile United Auto Workers. Un peu (...)Parfois cependant, cela apparaît plus publiquement, comme il y a une vingtaine d’années lorsque Doug Fraser démissionna du Labor Management Council en accusant les dirigeants patronaux d’avoir déclenché une guerre totale contre les travailleurs, les pauvres, les chômeurs, les minorités et même contre la classe moyenne1. Il leur reprochait également d’avoir déchiré le fragile contrat social élaboré au cours d’une période de croissance et de prospérité et qui avait en fait été arraché (mais il n’en disait rien) à la suite de luttes sociales très intenses menés dans l’environnement très dur des années 1930.

3La seule chose que l’on puisse reprocher à la prise de position de Doug Fraser, c’est qu’elle arrivait bien trop tard. La guerre dont il parle avait commencé – et de manière ouverte – dès l’époque de l’élaboration de ce fragile contrat social, c’est-à-dire dès les années 1930. Nul besoin de consulter des archives secrètes pour le savoir. Pas plus qu’il n’est nécessaire de s’être trouvé du mauvais côté de la matraque lorsque les grèves furent brisées par la force à la fin des années 1930. Cela se déroulait dans la rue. Si ces événements sont pourtant si peu connus, c’est que ni le système éducatif, ni les universitaires (ceux de Harvard par exemple) ne leur prêtent la moindre attention. Ce n’est tout bonnement pas un sujet d’étude.

4À l’évidence, la propagande entrepreneuriale est l’un des principaux éléments de l’histoire des États-Unis au xxe siècle. C’est un secteur industriel considérable. Bien sûr, elle s’affiche dans les médias commerciaux, mais elle concerne également tout l’éventail des moyens de communication à destination du public : l’industrie du divertissement, la télévision, une part importante de ce qui circule dans les écoles, et beaucoup de ce qui paraît dans les journaux. Tout cela ou presque est directement servi par l’industrie des relations publiques, née aux États-Unis au tout début du xxesiècle pour ne réellement prendre son essor qu’à partir des années 1920. Cette industrie touche désormais le monde entier mais sans commune mesure avec les États-Unis.

5Dès le départ, l’objectif aussi explicite que parfaitement conscient de cette industrie fut de « contrôler l’esprit public » – comme on disait alors. Dès les premières années du xxe le siècle, cet « esprit public » fut considéré comme la plus grande des menaces qui pesaient sur les entreprises. La puissance des milieux patronaux était considérable, et comme nous vivons dans un pays très libre (comparé à la plupart des autres), il est difficile – ce qui ne veut pas dire impossible – d’avoir recours à la violence d’État pour écraser les aspirations populaires à la liberté, au droit et à la justice. Il fut ainsi assez rapidement évident qu’il faudrait contrôler l’esprit des gens. Je dois admettre que cela n’a rien de nouveau. Tout cela se trouve déjà chez David Hume et la pensée des Lumières. Même à l’époque des tout premiers frémissements annonciateurs de la révolution démocratique dans l’Angleterre du xviie siècle on s’inquiétait déjà de ne pas parvenir à contrôler le peuple par la force et on recherchait d’autres moyens de le faire – contrôler les pensées, les sentiments et les comportements sociaux des gens. Il fallut donc inventer différents mécanismes de contrôle destinés à remplacer le si efficace recours à la force et à la violence. Celui-ci, très prisé par le passé, n’a cessé depuis, fort heureusement, de décliner avec les années – mais pas partout…

  • 2  Edward Bernays,Propaganda, Kessinger Publishing, 2004.

6Il suffit de ne pas trop s’éloigner de l’élite de Cambridge pour en apprendre long à ce sujet. La principale figure de l’industrie des relations publiques est en effet un très éminent libéral de Cambridge – libéral à la sauce Roosevelt-Kennedy – décédé récemment. Il s’agit d’Edward Bernays, qui écrivit dans les années 1920 un manuel sur l’industrie des relations publiques. Un classique qui vaut vraiment d’être lu. Et je ne parle pas ici d’une personnalité politiquement à droite mais bien de l’aile libérale située à gauche de l’échiquier politique américain. Ce livre s’intitule Propaganda2.

  • 3  « Propagande » désigne à l’origine la congrégation romaine fondée pour la propagation (...)

7(Je dois souligner que la terminologie a changé dans ce domaine au cours de la Seconde Guerre mondiale, avant laquelle le terme de propagande était assez ouvertement et librement utilisé pour évoquer le contrôle de l’« esprit public ». Par la faute de Hitler, le terme finit par avoir d’assez malheureuses connotations, et on s’est décidé finalement à l’abandonner. De nos jours, on utilise d’autres termes, mais quand on lit les travaux de sciences sociales et les écrits produits par l’industrie des relations publiques des années 1920 et 1930, on constate que leurs auteurs qualifient ce qu’ils font de « propagande3 ».)

8Le Propaganda de Bernays est un manuel à l’usage de l’industrie naissante des relations publiques.

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