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Belle leçon que celle que nous donne Pétraque, à des années-lumière de notre monde de blogs où chacun s’affiche en permanence sur Facebook et Twitter. C’est rapporté par Jacob Burckhardt dans « Civilisation de la renaissance en Italie » (tome 2) : « Mais l'émotionla plus vraie et la plus profonde est celle qu'il éprouve en faisant l'ascension du mont Ventoux, près d'Avignon. Un vague besoin d'embrasser un vaste horizon l'agite et grandit toujours jusqu'au moment où la lecture accidentelle de ce passage de Tite-Live où le roi Philippe, l'ennemi des Romains, fait l'ascension de l'Hémus, le convainc d'y céder. Il se dit : Ce qu'on n'a pas blâmé chez un roi déjà vieux est bien excusable chez un jeune homme appartenant à une condition privée. Faire des ascensions sans but utile était quelque chose d'inouï dans son entourage, et il n'y avait pas à songer à se faire accompagner par des amis ou par des connaissances. Pétrarque n'emmena que son frère plus jeune et deux paysans pris dans le dernier endroit où il s'était reposé. Au pied de la montagne, un vieux berger les conjure de retourner sur leurs pas, leur disant qu'il y a cinquante ans il a fait la même tentative, et qu'il n'en a rapporté que des repentirs, des contusions et des habits en lambeaux; qu'avant cette époque et depuis, personne n'avait osé affronter les dangers d'une telle entreprise. Mais ils avancent au prix de fatigues incroyables jusqu'à ce qu'ils voient les nuages flotter à leurs pieds, et atteignent le sommet. On s'attend, mais en vain, à une description détaillée du panorama qui se déroule sous les yeux des hardis voyageurs; on ne trouve qu'une nomenclature sommaire des principaux points qu'ils aperçoivent. Le poète ne fait pas le tableau du paysage qu'il a vu, non qu'il soit insensible à l'a beauté de ce spectacle, mais parce que l'impression qu'il en a ressentie est par trop forte. Toute sa vie passée, avec toutes les folies qu'il a commises, se retrace là son imagination; il se rappelle qu'il y a dix ans, jour pour jour, il a quitté Bologne, et jette un regard plein de regret vers la lointaine Italie; il ouvre un petit livre qui, en ce temps-là, l'accompagnait partout, les Confessions de saint Augustin, et ses yeux tombent sur ce passage du dixième chapitre: «Et les hommes vont admirer les hautes montagnes, les flots de la mer qui s'agitent au loin, les torrents qui roulent avec fracas, l'immense Océan et le cours des astres, et ils s'oublient eux-mêmes dans cette contemplation. » Son frère, à qui il lit ces lignes, ne peut comprendre pourquoi il ferme ensuite le livre et garde le silence. »[illustration disponible sur le site propriétaire de l'image]