Qu’est ce qu’être juif ?
Pour le philosophe Armand Abécassis, le judaïsme est confronté aujourd’hui à une grave crise d’identité ! Le sionisme politique n’est pas synonyme d’Israël : Herzl, son fondateur, avait d’abord accepté l’idée d’installer les juifs en Ouganda ! Le sionisme religieux, c’est d’abord la volonté d’installer le monde juif, sa mémoire, sa culture, sa religion sur son territoire d’origine. (...) Israël doit rester laïc. Le prêtre au temple, le roi au palais. Mais ce n’est pas le judaïsme qui gagne en Israël, c’est un certain esprit religieux, recroquevillé sur lui-même par peur de la modernité.(1)
Alain Gresh et Dominique Vidal donnent différents sens au mot juif : nom (ou adjectif) dont la seule définition fait l’objet, depuis longtemps, de débats très complexes, tant sont nombreuses et souvent contradictoires les conceptions de la « judéité ». À la question : « Qu’est-ce qu’un Juif ? » les réponses sont en effet diverses. De longues polémiques se sont naturellement développées sur ce thème, en Israël. La Loi du retour, adoptée dès 1950, stipule que chaque Juif a le droit de venir en Israël. Ce droit a été complété par la loi sur la nationalité, votée en 1952, qui accorde automatiquement la nationalité israélienne à tout immigrant profitant de la loi du retour, donc juif. Mais qui considère-t-on comme tel ? Dans la Palestine antique, un groupe juif de type national s’était formé. Mais l’effondrement des royaumes juifs sous les coups successifs des Assyriens et des Babyloniens, la colonisation romaine, et surtout l’écrasement de la révolte de Bar Kokhba, en 135 ap. J.-C., le dispersèrent. Tandis qu’un petit noyau demeurait en Terre sainte, le gros des populations juives s’éparpillaient tout autour de la Méditerranée, souvent en s’assimilant à leurs pays d’accueil. D’autres, profondément imprégnés de leur identité, parvinrent même à convertir, parfois massivement, leurs hôtes.:l’État juif d’Arabie du Sud, au VIe siècle, ou bien encore l’État juif des Khazars en Russie du Sud-Ouest, au VIIIe siècle, se constituèrent par le ralliement des souverains et de leurs sujets. Arthur Koestler, dans La Treizième tribu, affirme ainsi que la plupart des Juifs d’Europe centrale descendent des Khazars, donc de Turco-Mongols convertis puis dispersés en terre slave...Il en alla de même en Afrique du Nord, en Espagne, en Gaule, en Germanie, en Asie, etc. Les Juifs d’aujourd’hui n’ont donc, vraisemblablement, aucune filiation avec les Hébreux
« C’est dire, du même coup, combien l’appel au concept de race relève à la fois de l’ignoble et de l’absurde. La vieille anecdote du Juif français parti en Chine pour y retrouver ses frères répond, sur le mode de l’humour, à cette pseudo-théorie. Arrivé enfin à Shanghai, notre homme, dans une ruelle obscure, découvre la synagogue, et y pénètre. Les Juifs chinois, qui y prient, d’abord étonnés, se font peu à peu menaçants. Alors il leur crie : Mais je suis juif, comme vous. Et eux, lui montrant leurs yeux bridés, de rétorquer : Mais tu n’as pas le type ! Une simple visite en Israël convaincra d’ailleurs le plus dubitatif des lecteurs de l’extraordinaire diversité des types « juifs, aussi vaste que celle des peuples des quelque cent cinquante pays dont sont issus les Israéliens... »
« Le concept même de « peuple juif » est, à cet égard, pour le moins discutable. À défaut d’une réalité ethnique et sachant que l’angle religieux s’avère restrictif, sur quels éléments s’appuierait-il ? (...)Et l’on connaît cette lettre dans laquelle Léon Blum, en 1950, s’associe à l’« effort admirable » d’Israël qui assure désormais une patrie digne de tous les Juifs qui n’ont pas eu comme moi la bonne fortune de la trouver dans leur pays natal. Même assimilés, les Juifs, pourtant, existent. Soit qu’ils soient désignés comme tels : C’est l’antisémite qui crée le Juif, affirmait Jean-Paul Sartre... ».(2)
L’historien israélien Schomo Sand, professeur à l’université de Tel-Aviv, auteur d’un ouvrage courageux « Comment le peuple juif fut inventé écrit : « Les Juifs forment-ils un peuple ? Contrairement à une idée reçue, la diaspora ne naquit pas de l’expulsion des Hébreux de Palestine, mais de conversions successives en Afrique du Nord, en Europe du Sud et au Proche-Orient. Voilà qui ébranle un des fondements de la pensée sioniste, celui qui voudrait que les Juifs soient les descendants du royaume de David ». Shlomo Sand ne remet pas pour autant en cause la légitimité de l’existence et de la souveraineté de l’Etat d’Israël ; cependant celui-ci se discrédite, soutient-il, par son caractère exclusivement ethnique, engendré par le « racisme » des idéologues sionistes.
« Tout Israélien, écrit-il, sait, sans l’ombre d’un doute, que le peuple juif existe depuis qu’il a reçu la Torah dans le Sinaï, et qu’il en est le descendant direct et exclusif (...)D’où vient cette interprétation de l’histoire juive ? Elle est l’oeuvre, depuis la seconde moitié du XIXe siècle, de talentueux reconstructeurs du passé, dont l’imagination fertile a inventé, sur la base de morceaux de mémoire religieuse, juive et chrétienne, un enchaînement généalogique continu pour le peuple juif. Les historiens sionistes n’ont cessé, depuis, de réitérer ces « vérités bibliques », devenues nourriture quotidienne de l’éducation nationale. Mais voilà qu’au cours des années 1980, la terre tremble, ébranlant ces mythes fondateurs. Les découvertes de la « nouvelle archéologie » contredisent la possibilité d’un grand exode au XIIIe siècle avant notre ère. (...) A défaut d’un exil depuis la Palestine romanisée, d’où viennent les nombreux Juifs qui peuplent le pourtour de la Méditerranée dès l’Antiquité ? De la révolte des Maccabées, au IIe siècle avant notre ère, à la révolte de Bar-Kokhba, au IIe siècle après J.-C, le judaïsme fut la première religion prosélyte". Les Asmonéens avaient déjà converti de force les Iduméens du sud de la Judée et les Ituréens de Galilée, annexés au « peuple d’Israël ».
« Partant de ce royaume judéo-hellénique, le judaïsme essaima dans tout le Proche-Orient et sur le pourtour méditerranéen. De même, les chroniqueurs arabes nous apprennent l’existence, au VIIe siècle, de tribus berbères judaïsées : face à la poussée arabe, qui atteint l’Afrique du Nord à la fin de ce même siècle, apparaît la figure légendaire de la reine juive Dihya el-Kahina, qui tenta de l’enrayer. Des Berbères judaïsés vont prendre part à la conquête de la péninsule Ibérique, et y poser les fondements de la symbiose particulière entre juifs et musulmans, caractéristique de la culture hispano-arabe.(...) La conversion de masse la plus significative survient entre la mer Noire et la mer Caspienne : elle concerne l’immense royaume khazar, au VIIIe siècle. (...) Israël, soixante ans après sa fondation, refuse de se concevoir comme une république existant pour ses citoyens. Près d’un quart d’entre eux ne sont pas considérés comme des Juifs et, selon l’esprit de ses lois, cet Etat n’est pas le leur. En revanche, Israël se présente toujours comme l’Etat des Juifs du monde entier. (...)(3)
Imbu alors de l’idéologie de la race supérieure de droit divin, Israël pratique envers ses propres citoyens, juifs falasha, indiens et surtout arabes israéliens un apartheid qui n’a rien à envier au racisme le plus primaire et au langage zoologique dont parle Franz Fanon. Ainsi Brahim Senouci écrit : (...) Raciste, le rabbin israélien Yitzhak Ginsburg affirmant au Jerusalem Post le 19 juin 1989 que « le sang juif et le sang des goys (non-juifs) ne sont pas les mêmes » et en concluant que « tuer n’est pas un crime si les victimes ne sont pas juives » ? Raciste, Ehud Barak qui, le 28 août 2000 (Jerusalem Post du 30 avril 2000), ose cette comparaison : « Les Palestiniens sont comme les crocodiles, plus vous leur donnez de viande, plus ils en veulent » ? (...)(4)
Nous citons aussi l’analyse pertinente de Pierre Stambul, juif tolérant et qui brave l’ire de ceux qui pensent que tout ce que fait Israël ne doit pas être jugé. Retraçant le parcours de l’OLP et l’erreur de Arafat d’avoir reconnu Israël sans que celui-ci ne reconnaisse l’Etat de Palestine, il tente de démonter la mécanique israélienne. « Sur le fond, écrit-il, il n’y a pas de différence entre le nettoyage ethnique de 1948 (800.000 Palestiniens expulsés de leur pays au moment de la Naqba, la catastrophe) et la conquête suivie de la colonisation de 1967. (...) L’ONU a reconnu Israël, toutes grandes puissances confondues. elle a accepté qu’Israël se proclame État juif. Par contre, l’ONU n’a jamais reconnu les annexions de 1967 et a même voté plusieurs résolutions demandant un retrait israélien. (...) Les négociateurs palestiniens ont été naïfs à Oslo. Ils ont reconnu Israël, mais n’ont obtenu qu’une reconnaissance de l’OLP. Qu’ils soient exilés ou réfugiés au Proche-Orient, voire plus loin, la majorité des Palestiniens n’espèrent plus rien du processus politique d’Oslo. Du coup, ils en reviennent à la question de la Naqba, à l’illégitimité de la création d’Israël. La revendication qui était celle de l’OLP avant 1988 (un seul État, laïc et démocratique en Palestine) reprend de la vigueur. (...) »
« Il n’y a qu’une seule façon de régler cette guerre, c’est d’en revenir au droit. L’occupation, le nettoyage ethnique, l’interdiction faite aux réfugiés de revenir chez eux, les discriminations, les assassinats, les emprisonnements massifs sont des crimes. Au départ, il y a un crime fondateur, celui de 1948, et toute paix juste commencera par la reconnaissance de la Naqba. Toute négociation devra porter sur les moyens de "réparer" ce crime. Si les Juifs israéliens resteront, "l’ État juif" doit disparaître. Le droit international ne reconnaît que les États de tous leurs citoyens. Définir un Etat sur une base "raciale", ethnique, nationale ou religieuse est discriminatoire et les Israéliens ont fait la démonstration sanglante du caractère discriminatoire de l’ État juif vis-à-vis des Palestiniens. (...) Il faut contrer en permanence la propagande israélienne qui assimile la critique radicale de l’Etat juif à de l’antisémitisme ».(5)
Le premier test du président Obama vis-à-vis d’Israël s’est soldé apparemment par un échec. Benyamin Netanyahou est venu lui dire niet à toutes les propositions. Pas d’Etat palestinien, pas de gel des colonies., il introduit un nouveau concept celui de l’accroissment naturel des colonies.... Par contre, il demande l’aide des Etats-Unis pour démolir l’Iran. Au passage, il annonce qu’il faut que les Palestiniens reconnaissent Israël comme un Etat juif. Cette affirmation lourde de sens, n’a soulevé en Occident aucun tollé, voire réserve. C’est le silence radio. La situation est pourtant favorable pour le président américain. On se souvient que le gouvernement Clinton ne portait pas dans son coeur Benyamin Netanyahou, considéré comme un menteur et un tricheur. De plus, il semble que le soutien à Israël de la part des Américains ne soit plus aussi monolithique, le Congrès américain et la communauté juive - ont désormais un nouveau visage. La semaine dernière, 64 députés américains ont supplié Obama de répondre le plus vite possible à la crise humanitaire qui sévit dans la Bande de Ghaza. Trente-deux membres du Congrès ont signé une proposition de résolution engageant le Congrès à soutenir l’administration américaine dans ses efforts en faveur d’une solution fondée sur deux Etats. Il est loin le temps où Martin Indyk, ancien ambassadeur américain en Israël, explique que si les hommes politiques américains tentaient de restreindre l’aide économique et militaire en vue d’obtenir des concessions de la part des Israéliens, « [ils recevraient] une lettre du Congrès avec pas moins de 87 signatures de sénateurs et 87% du Congrès disant ne vous avisez surtout pas de faire cela ! ». (...)
En fait, la stratégie de Benyamin Netanyahou est cohérente : un Etat juif ne peut abriter que des Juifs. Non seulement il n’y aura pas droit au retour des réfugiés de 1948 ou de leurs descendants, mais si Israël arrive à s’introniser Etat juif, les Arabes israéliens vont donc, par la force des choses aller dans ce banthoustan que sera - le piège de l’Etat palestinien. Le temps ne joue pas en faveur des Palestiniens et des Arabes car Israël ignore toutes les résolutions depuis 1948, même l’initiative saoudienne de 2002 est ignorée. Pour ce qui est de Jérusalem, la judaisation à marche forcée de la partie arabe est un réel motif d’inquiétude. Israël veut-il la paix ou est-ce la guerre qui lui donne une réelle existence ?
- 1.Armand Abécassis : « Qu’est-ce qu’être juif ? » Le Point N°1838, 22/12/2007
- 2.Alain Gresh, Dominique Vidal : Qui est « juif » ? quel sens donner à ce mot ? IDH Toulon
- 3.Shlomo Sand : « Comment le peuple juif fut inventé », IDH Toulon. mardi 27 janvier 2009
- 4.Brahim Senouci, - Mercredi 22 avril 2009
- 5.Pierre Stambul : Etat juif ou société de tous ses citoyens ?
oulala.net 8 juin 2009 par Prof. Chems Eddine Chitour