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Le langage trahit-il la pensée ?

Publié le 18 juin 2009 par Jcgbb

Ce que nous disons et écrivons exprime-t-il fidèlement ce que nous pensons ? Il arrive que les mots dépassent notre pensée, que nous disions autre chose que ce que nous voulions dire. Colère, lapsus, hésitation montrent qu’il n’est pas si aisé de dire ce qu’on pense. Quel est donc le rapport entre pensée et langage ? Le langage est-il bon miroir de ce que nous pensons, bon serviteur de nos intentions ? Dans le domaine littéraire on dit parfois que toute traduction est trahison ; or s’il est vrai que le langage exprime la pensée, c’est-à-dire la traduit en quelque manière, comment s’assurer de la fidélité de cette expression ou traduction ? A quel point de vue se placer pour les comparer ?

On pouvait commencer par réfléchir sur les obstacles que le langage dresse entre la pensée et la vérité. Le mot grec logos signifie à la fois discours et raison, ce qui suggère une parenté entre les deux : le langage semble être par excellence le moyen d’expression de la pensée. Or il se pourrait bien que les langues, réalisations concrètes du langage, tendent des pièges au penseur en quête de vérité. Platon avertissait des dangers de l’écriture. Le linguiste suppose que les catégories de pensée dérivent des catégories grammaticales : nous serions ainsi prisonniers de nos moyens d’expression, et ce qui devrait nous conduire au vrai et à l’universel nous enfermerait dans le relatif et le particulier. Et Nietzsche dénonçait le sujet mis en évidence par Descartes (ego cogito) comme un effet de grammaire (tout verbe requiert un sujet).

La possibilité de l’erreur et de l’illusion est cependant inscrite dans le langage même, en tant qu’il est le signe de la raison. Se tromper, disait Alain, est la rançon de penser. Si le langage trahit parfois, c’est d’abord parce qu’il est au service de la pensée. Il trahit la pensée, mais comme la rougeur peut trahir l’amour, c’est-à-dire au sens d’une manifestation, et non d’une infidélité. C’est en ce sens que selon Freud le lapsus n’est pas l’expression infidèle de notre pensée consciente, mais au contraire la claire manifestation de nos intentions inconscientes : le lapsus révélerait une intention ou un désir latents, et ce qui nous paraît une trahison et une déformation serait au contraire le miroir exact de ce que nous tentions de dissimuler, aux autres comme à notre propre regard.

Mais qu’on juge le langage trompeur ou révélateur, infidèle ou au contraire trop fidèle, on présuppose dans tous les cas que la pensée préexiste à son expression. Comme s’il y avait d’abord ce que je pense (peu importe avec quel degré de conscience), et ensuite ce que je dis ou écris. Or cet implicite (l’antériorité de la pensée au langage) pouvait être discuté, en évoquant par exemple les analyses de Hegel expliquant que nous pensons dans les mots, ce qui implique une réciprocité de la pensée et du langage. De fait, nous ne savons pas exactement ce que nous pensons tant que nous ne parvenons pas à le formuler ; si les mots nous manquent, ce n’est pas imperfection du langage, cela trahit le vide ou l’imprécision de notre pensée. Il n’y aurait donc jamais trahison, mais constante adéquation.

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