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Coup de tête 2/5

Publié le 21 juin 2009 par Menear
Et trois mois plus tard, à son tour, la deuxième partie. Deux fois plus courte que la première, la voilà à présent à peu près terminée. Donnée à lire à H. pour son avis à chaud, la partie III reprise depuis quelques semaines en parallèle. A présent nous y sommes, sans doute, j'ai les trente-cinq pages que je voulais avoir, j'ai sculpté mon matériau de départ comme il semblait qu'il fallait ; j'ai quelque chose de solide qui devrait forcément ressembler à la partie II finale-imprimée (oui mais quand ? dans un an ? deux ?).
La deuxième partie avait déjà été composée au trois quart en novembre-décembre, je n'ai fait que reprendre depuis fin mars. L'objectif, c'était de descendre en sous-sol (l'intégralité du texte se déroule dans une gare souterraine) avant de laisser le corps remonter en altitude pour la partie suivante. L'objectif, c'était aussi de s'y perdre, de mimer des mouvements aléatoires et contraires et de laisser miner l'organisme. Je crois que j'y suis parvenu.
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Entre temps, quelques centaines de mots ont sauté : 14000 environ pour la version non terminée de décembre, à qui il manquait cinq-sept pages et 13900 mots à présent pour la deuxième partie terminée. En tout trente-cinq pages, moitié moins que la première, on se situe grosso modo là où je voulais arriver.
Ci dessous extrait, on est pile au milieu de ces 13900 mots : le narrateur, déformé par la faim, y croise AMF, ou son fantôme peut-être, et ils ne se comprennent pas évidemment. Cet extrait plutôt qu'un autre car je me suis toujours considéré très mauvais dans les dialogues et que cette partie m'a fait travailler mes travers (aussi) :
Je me recule brusquement sous mon poids parce que le décor de devant roule doucement vers l'arrière. Pas normal, je me dis en me rattrapant sur le siège de derrière, puis une fois que l'en haut devient l'en bas et inversement, je commence à comprendre que le sol s'est barré de sous mes pieds et moi idem.
- Ça va ? on me demande depuis une voix décalée sur la gauche.
- Ouais, je fais, en me redressant fragile sur mon poignet trop flou. Puis du sol à la structure métallique du siège jusqu'au cul par dessus bien calé. Ouais, ça va. C'est juste un... Juste un|
Un quoi ?, je pense dans le silence de ma tête, emmuré sous mes veines. Mais rien qui vient, rien qui sort. Alors je laisse ma voix en suspens et naturellement elle se laisse recouvrir par le vacarme ambiant.
- Je vois le genre, elle répond, puis mes yeux remontent le fil et basculent sur sa gorge, ses lèvres. Cette femme superbe à la peau rouge, peut-être bien sortie d'une des pubs de tout à l'heure.
- On s'est pas déjà, je lui demande mais elle me laisse pas le temps de|
- Oui, peut-être bien. Monaco ? Genève ?
Probablement que non, alors. Même si son odeur m'est familière, même si sa silhouette en un sens a jamais quitté la surface de mes pupilles depuis je sais plus trop quand.
- Je crois pas, alors. C'est pas trop mon monde.
- Le mien non plus. Juste une question de professionnalisme.
J'ose pas lui dire que je capte rien de ce qu'elle me sort, je pense, parce qu'au fond si je fais ça, je sens que son visage va se tordre ou sa silhouette s'étendre et ça j'en n'ai pas envie. Alors je me contente juste d'acquiescer sans comprendre, comme je fais toujours. Et comme toujours, elle fait comme si elle me croyait sans chercher à aller plus loin. Je connais pas son nom, je pense, mais|
- Enchantée, elle me sort, main tendue face à moi, moi c'est Arjeen Manguel.
- Arjeen quoi ?, je lui réponds, puis main droite, main gauche, poignée de main, etc. Et le sol de devant se tapisse vers l'arrière une deuxième fois. Signe que je vais tomber, je pense, ou bien qu'il faut absolument que|
- Ça vous dérangerait de, je lui fais avant qu'elle me|
- Cigarette ? Voix grave de gorge serrée.
- Non, je réponds, la gerbe au pife tapie derrière, puis les trente milles mégots me remontent jusqu'aux genoux à nouveau, la pub brillante sur le mur voisin. Un euro, je lui demande, il me faudrait un euro.
Je lui ai demandé de répéter un nom qu'elle a jamais répété. Je suis toujours pas sûr que ce soit ça, ni que ça s'écrive comme je crois que ça puisse s'écrire. Des fois j'ai l'impression qu'elle est là au coin de mon œil, mais quand je tourne la tête pour la voir, l'impression reste en périphérie du reste. On gagne jamais à ce jeu là.
Plutôt l'habitude de récupérer les pièces collantes dans la fente Sélecta en bas à droite que de les y glisser froides contre le métal tout en haut. L'euro d'Arjeen Manguel précieux entre mes doigts. Le reste complété par mon butin du jour. Puis je tape le code qu'il faut et le sachet s'éclate doucement dans le bac. Pour le récupérer, je dois bien caler le volet trop lourd avec mon coude et tâtonner à pleine paume jusqu'à ce que|
- Merci, je lui lance, mon paquet de mini-madeleines-plastique à la main, mon cul bien dur dans l'angle du siège. Puis : ça te dit ?
Quand elle disait non à un truc, elle se contentait juste de le dire des yeux avant de cracher sa fumée avec sa bouche. Ça me balayait la gueule et m'alléchait la gorge, mais je m'en foutais. Elle faisait juste non des yeux et puis j'avais le goût de sa voix sur ma langue dans la foulée.
Pas évident d'éventrer le film plastique par dessus le paquet de mini-madeleines avec seulement deux doigts. Arjeen Manguel me regarde faire sans rien dire. Tant mieux. Je sens sa clope sur ma nuque doucement. Puis mes doigts glissent par dessus, mes doigts tremblent. Même coincée entre mon coude et ma cuisse, je pense, cette saloperie veut pas|
Puis le truc se perce et mes doigts s'enfoncent crades dans l'une des mini-madeleines. Tant mieux, tant pis, je sais pas, je m'en fous. Juste : la chair jaune entre les phalanges qui m'appâte. Ma langue qui salive et ma gorge qui se ressert.
Jamais eu autant la trouille de manger de ma vie, Ajay. Vrai de vrai.
Je laisse défiler les trois quarts de ma bouteille pleine entre mes dents histoire de noyer la mini-madeleine broyée-difforme deux secondes plus tôt. J'avale sans respirer autant de flotte que je peux pour engloutir la bouffe molle que j'ai plus l'habitude d'avoir au ventre. Je mâcherais presque le plastique de la bouteille, je pense, si ça pouvait aider.
- Soif à ce que je vois. La voix chaude d'Arjeen Manguel se lance, mais pas chaude comme le reste, je pense, chaleur différente, de l'intérieur, chaleur d'un corps juste là, à portée de main.
- Ouais, je lui réponds sans lui répondre, c'est pas comme si j'avais le|
Le TGV. Numéro. Deux. Mille. Cent. Quarante. En provenance de. Lyon Perrache. Entrera en gare. Voie. F. Éloignez-vous de la bordure du|
- C'est le tien ?, elle me demande, les yeux derrière le panneau d'affichage.
- Non, je lui dis, puis je corrige, oui, peut-être, je sais pas, ça se pourrait. Sourire lent derrière ses dents fines.
- Tu sais pas ou tu veux pas ?
Pendant qu'on faisait semblant de se parler sans se connaître, moi j'avais ma merde grouillante qui me remuait le bide toutes les dix ou quinze secondes. Je me décalais sur mon siège pour pas qu'elle s'en rende compte. A un moment elle a juste éclaté de rire comme si c'était juste marrant, tu vois. Dans ma tête, moi, j'essayais juste de me retenir de gerber sur elle, au cas où ça remonterait trop vite.

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