DU RÉAU, Elisabeth, L’idée d’Europe au XXème siècle, Des mythes aux réalités, Éditions complexes, 2008. Je continue mon enquête sur l’Union Européenne. Qu’est-ce ? Un concept bringuebalant, ou l’enfance d’un géant ?
Technique qui donne de bons résultats pour l’entreprise : l’histoire et les événements qui ont été à son origine. C’est là que l’on trouve les idées qui guident ses comportements. Voici ce que je retiens de ma lecture :
La préhistoire
L’histoire de l’Europe est celle que nous connaissons tous. Peut-être paraîtrait-elle originale à un étranger, mais, pour moi, il est difficile d’y repérer des caractéristiques particulières. Cette partie du livre me laisse donc sans grande réaction.
L’idée de l’Europe est presque aussi vieille que le monde. Héritage déterminant son caractère ? La Grèce lui aurait apporté la raison, Rome l’organisation et le christianisme la conscience. Géographiquement, son cœur serait l’empire de Charlemagne. L’idée d’une union européenne qui rendrait impossibles les guerres apparaît au quinzième siècle. Elle est théorisée par Rousseau et Kant.
Déclin inéluctable
Dès la fin du 19ème siècle, le sentiment du déclin inéluctable des nations européennes, leur désillusion vis-à-vis de la science et du progrès, les amène à envisager une union en guise de nouvel idéal. Une première tentative sérieuse de mise en œuvre pratique est faite après la seconde guerre mondiale, notamment poussée par Aristide Briand. (Déjà on voit apparaître, en Angleterre, l’idée qu’une Europe politique n’est pas immédiatement possible. Il faut commencer par une Europe économique, qui installera la solidarité entre nations et préparera le terrain pour une Europe politique.) Mais, en supposant que ces projets aient pu réussir, le nazisme met fin à tout espoir. La construction européenne reprend après la seconde guerre mondiale.
À ce moment vont s’exprimer des influences fortes. Curieusement, ce ne sont pas celles que j’attendais.
L’Amérique et l’URSS
Sans l’impulsion de l’Amérique, sans la guerre froide, l’Europe aurait-elle vu le jour ? Pas certain.
« l’idée d’Europe, celle d’une démocratie nouvelle fondée sur une solidarité et une fraternité qui s’expriment dans une grande fédération européenne aurait été ruinée en quelque sorte par la Guerre froide qui a au contraire poussé à l’organisation d’une Europe construite autour de l’économie et des impératifs de défense du monde occidental. » (Antoine Fleury et Robert Frank)
L’Amérique veut une Europe puissante. Le plan Marshall, qui a pour objet d’éviter à l’Europe une déstabilisation soviétique, exige un organisme de coordination européen (OECE), première institution européenne. Et c’est la pression américaine qui forcera l’Angleterre, favorable à une zone de libre échange, à accepter des projets d’union plus étroite.
La paix et l’éradication du nationalisme.
Parmi les raisons de création de l’Europe se trouve évidemment la nécessité de mettre un terme aux guerres européennes. Il semble que ce soit le projet d’origine, celui de Briand. Il s’agit de dissoudre les nationalismes fauteurs de guerre au sein d’une entité qui les contrôlerait. Ce qui signifie, avant tout, réconcilier France et Allemagne. La Guerre froide accélérera le mouvement, en montrant que le danger n’est plus l’Allemagne.
L’Europe géographique.
L’Europe n’est pas considérée au départ, du moins en Europe continentale, dans son acception restreinte actuelle. Elle doit aller en Russie. On cherche à y associer l’URSS, jusqu’à ce que l’on se rende compte qu’elle a d’autres projets (coup de Prague puis blocus de Berlin, en 1948).
Les droits de l’homme et démocratie
Les droits de l’homme et les valeurs démocratiques ont probablement une place importante parmi les valeurs fondatrices de l’Europe. Premièrement en réaction aux exactions commises durant la guerre, mais aussi, surtout peut-être, en réaction à la menace soviétique qui force les démocraties de l’Ouest à serrer les rangs.
Fédéralisme et unionisme
L’histoire de l’Europe c’est celle de l’affrontement de deux idées irréconciliables. D’une part celle d’une fédération, d’une nation européenne, d’un « espace chrétien », d’autre part celle, anglaise, d’une zone de libre échange ouverte sur le « grand large », et liée aux USA, mais qui, probablement, n’inclurait pas une Angleterre jalouse de son indépendance et, finalement, hyper nationaliste.
En fait, il y a très peu de chances qu’une communauté apparaisse. Les fédéralistes semblent avant tout des utopistes, ou des technocrates. En particulier, ils croient qu’élire une assemblée européenne au suffrage universel va créer un sentiment d’appartenance. 60 ans d’échec.
La seule méthode qui paraît avoir réussi un tant soit peu à unifier les Européens, a été celle de ses pères fondateurs (principaux : Schuman, Adenauer, Monnet, de Gasperi). Bizarrement c’est celle que recommandent les sociologues : partir de la population, non de son élite, et la faire travailler à un problème commun. (« (l’Europe) se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait » R.Schuman.) C’est ce qu’on a appelé le « fonctionnalisme », ou la politique des « petits pas ». De 1948 à 1951 naissent Union occidentale, Organisation européenne de coopération économique, Conseil de l’Europe (première assemblée européenne). Puis c’est la première communauté, à 6, la ceca (Communauté européenne du charbon et de l’acier).
Elle était sur le point de produire une armée européenne (Communauté Européenne de Défense) et une Communauté Politique Européenne, projets portés par la France et approuvés par les états qui auraient dû y participer, lorsqu’une résurgence nationaliste, sous les traits de De Gaulle, la torpille (1954).
Un organisme contre nature créé par les USA ?
Faute d’avoir poursuivi cette politique, l’Europe semble un être étrange, sans tête et sans âme. Pour ménager la chèvre et le chou, les conceptions opposées anglaise et fédéraliste (technocratique ?), tous ses textes fondateurs sont ambigus, donc sans efficacité, à commencer par le traité de Rome qui crée la CEE (1957).
D’ailleurs, tout est contradictoire dans les influences qu’elle subit. L’Amérique, par exemple, désire une Europe forte. Mais elle a peur d’une forteresse économique. (Ainsi, l’OECE, contrepartie du plan Marshall, veille au libre échange.) N’est-ce pas pour cela que l’Europe n’arrive pas à construire de projet commun, qu’elle n’a pas d’armée, et que l’OTAN (créé en 1950) demeure la seule solution aux problèmes de sécurité européens, au grand dam semble-t-il des USA ?
Et puis, fallait-il faire entrer l’Angleterre dans l’Europe ? Les Anglais, notamment Churchill, y étaient opposés. A-t-elle été contrainte de nous rejoindre par l’Amérique, et sa vision du monde aculturelle ? L'Angleterre en dindon de la farce et non en complice ?
Toujours est-il que l’Union Européenne est faite de peu de valeurs partagées. Et, comme elle ne s’est pas donnée les moyens d’en créer, il est vraisemblable que l’entrée des pays de l’est, porteurs de cultures éloignées des nôtre, ne fera qu’amplifier la cacophonie.
Compléments :
- Autres réflexions sur le sujet : L’Europe difficile.
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