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L’as-tu vue ?

Publié le 25 juin 2009 par Memoiredeurope @echternach

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Finalement c’était une bonne idée de garder quelques heures à Bruxelles pour aller rendre une visite de courtoisie au Palais des Beaux-Arts, ce début juin.

J’ai connu l’endroit sous différents noms. Je ne sais pas si j’aime vraiment celui qui est utilisé maintenant. “BOZAR” est certes un terme fédérateur. Un concept. Un mot valise qui permet de sortir du conflit linguistique. Mais je me revois, depuis les années soixante-dix, arpentant les couloirs, ou descendant les escaliers depuis la Place Royale et non les remontant depuis la rue Ravenstein, avec Tapta et ses élèves.

Ou bien découvrant les trésors du Baroque portugais avec Christiane de Aldecoa. Ou bien encore recherchant les traces de la Vénus d’Urbino avec celle que j’aime.

Comme dans les musées de Paris ou de Berlin, les corps absents sont autant ceux de l’amitié et de l’amour, que ceux des artistes !

Mais en l’occurrence, l’exposition extensive de Sophie Calle devait d’autant plus me convenir et me séduire qu’elle parle justement de l’accumulation des absences et de l’importance des traces et des souvenirs. Les gestes photographiés et documentés, minutieusement, convulsivement, sont pourtant de l’ordre de l’oubli ou du doute. L’ambiguïté est partout : qu’elle concerne l’échelle des choses ou l’aveu des êtres.

« Sophie Calle est écrivain, artiste narrative, photographe, vidéaste ou même détective. Elle est sans doute un peu de chaque, selon les personnages qu’elle interprète, les rituels qu’elle imagine, les morceaux de sa vie qu’elle raconte et les moyens dont elle se saisit pour les raconter. »

Que l’on imagine plutôt la voix de Frédéric Mitterand, venue de l’intérieur des murs, dans chaque salle, comme celle d’un souffleur, et qui nous conte ce qu’écrit Marie Desplechin : « Le travail de Sophie Calle est assez résistant, et assez excitant à la fois, pour que tous les systèmes puissent prétendre avoir leur mot à dire…Et quand elle choisit  des chantres, elle les prend chez ses contemporains, elle en fait des complices, Guibert, Auster, Rolin». Et donc également…Frédéric Mitterand, tel qu’en lui-même le Président français l’a métamorphosé en Ministre de la Culture. 

Il y a une beauté inégalable dans le fait de se mettre à nu ainsi, sur vingt ans. Une mise à nu plus dangereuse que la confidence écrite ou le strip-tease en pleine lumière. Se mettre à nu en décidant des contours de la scène, des éléments du décor, de la nature des participants, des outils d’enregistrement et des mots qui vont piéger, constitue un acte artistique rare puisque l’artiste est à la fois actrice, metteuse en scène, spectatrice et commentatrice.  

« Je suis partie au Japon le 25 octobre 1984 sans savoir que cette date marquait le début d’un compte à rebours de quatre-vingt-douze jours qui allait aboutir à une rupture, banale, mais que j’ai vécue alors comme le moment le plus douloureux de ma vie. J’en ai tenu ce voyage pour responsable. De retour en France, le 28 janvier 1985, j’ai choisi, par conjuration, de raconter ma souffrance plutôt que mon périple. En contrepartie, j’ai demandé à mes interlocuteurs, amis ou rencontres de fortune : « Quand avez-vous le plus souffert ? » Cet échange cesserait quand j’aurais épuisé ma propre histoire à force de la raconter, ou bien relativisé ma peine face à celle des autres. »

Rien n’a cessé vraiment puisque « Elle », la « M’as-tu vue ? » a toujours besoin d’être aperçue pleurante, pleureuse et implorante. Puisqu’elle a besoin de s’en remettre aux divinations pour conduire sa vie – son œuvre. Et enfin, qu’à la disparition de l’amour, succède celle de la mère. 

Et à côté de l’œuvre, en contrepoint de la voix que Frédéric rend aussi neutre que possible, Marie dispose le tableau de la Mélancolie ; celle de Cranach ou celle de Dürer.

On peut voir la rétrospective de Calle Sophie au Musée des Beaux-Arts de Bruxelles jusqu’au 13 septembre 2009.


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