Tout à la fois intense et fragile, la trop discrète Sylvie Paquette poursuit, depuis 1993, un cheminement d'une grande cohérence artistique. A l'époque où nous l'avons rencontrée, l'auteur-compositeur-interprète québécoise venait de publier son premier album, Soul'Propos. Deux autres ont suivi, toujours dans la même veine folk-rock, notamment Oser, en 1997, qui lui a valu le prix Félix-Leclerc de la chanson aux Francofolies de Montréal. Autre jalon, son passage sur la grande scène des Francofolies de La Rochelle, entre Rachid Taha et Louise Attaque, "l'un de mes plus beaux souvenirs de musicienne"... Alors que se profile, à court terme, la sortie de son quatrième album (pour lequel elle s'est notamment entourée de Daniel Bélanger), nous vous proposons un retour sur notre rencontre avec Sylvie Paquette en 1993, interview qui laissait déjà entrevoir une personnalité fort singulière.
Titus - Sylvie, il y a beaucoup de choses à dire sur ton cheminement. Ton premier album, "Soul'Propos", est sorti au mois de mars (1993, ndr), mais on est frappé par sa maturité. Est-ce vrai qu'il y a eu dix ans de travail avant de publier ce premier disque ?
Sylvie Paquette - Pendant ces dix années-là, j'ai chanté beaucoup en soliste avec ma guitare dans les cafés et les bars. J'ai ainsi appris à écrire des chansons, à les communiquer, à faire des spectacles aussi. J'ai été très nourrie du public : les gens qui venaient me voir, qui me disaient qu'ils aimaient ça et qui avaient envie d'acheter un disque. C'est le public qui m'a encouragée à persister, d'être moi-même et de continuer dans mon style musical. J'ai été approchée quelquefois par des compagnies de disques ; mais souvent les producteurs au Québec font des choix où les risques sont minimes. Ils se basent sur ce qui marche bien aux Etats-Unis et ils suivent le modèle. Ma musique, en revanche, est très personnelle et je me qualifie plus d'auteur-compositeur-interprète... Ce type de carrière se bâtit sur le long terme. Et j'ai enfin trouvé la bonne compagnie de disques, Gamma, qui respecte ma vision des choses. C'est un projet de plusieurs albums. Le premier est enfin sorti; ça me rend très heureuse après toutes ces années. Depuis trois-quatre ans, on assiste à un certain regain de popularité de l'acoustique. Ca me ravit parce que c'est ce que j'ai toujours fait, même dans les années 80. Du folk-rock toujours très acoustique...
Titus - La critique dans son ensemble a salué la sortie de ce premier album. La qualité des textes, des compositions, le jeu de guitare...
Ecouter la réponse de Sylvie Paquette, sur CINN FM :
Oui, je ne me considère pas comme une technicienne de la musique. Mais ce que j'ai développé avec les années, c'est un style personnel à la guitare, et dans ma façon d'écrire. C'est sûr que quand j'ai lu ces critiques, j'étais ravie. Je pense que mon style s'est développé grâce à l'expérience...
Titus - Y-a-t-il eu des rencontres marquantes au fil des ans ?
Un album ne se fait pas tout seul. C'est un travail d'équipe et j'ai été extrêmement bien entourée. Rick Haworth était à la direction musicale. Rick est un super bon guitariste; je le voyais travailler de loin mais je ne le connaissais pas. Je l'ai approché simplement il y a un peu plus d'un an avec un démo et il a accepté de faire les arrangements avec les musiciens avec lesquels il travaillait. J'étais naturellement très heureuse que le projet l'ait intéressé. Rick m'a dit qu'il trouvait que chaque chanson avait une ambiance précise. On a donc commencé à travailler et la maison de disques est arrivée après ça. Patrice Duchesne, des disques Gamma, m'a entendu sur une radio communautaire à Montréal. C'est vraiment un concours de circonstances. Après toutes ces années, je suis en tout cas très contente d'avoir travaillé avec tout ce beau monde. Je pense que je méritais de travailler avec des gens de talent parce que j'avais travaillé fort. Mais c'est l'fun, pour un premier disque, d'en être fière et de trouver que ça me ressemble. Je crois que je suis très privilégiée...
Titus - Ca vaut la peine d'attendre, parfois...
Oui, ça vaut la peine d'attendre... Par contre, si c'était à refaire, je ne sais pas si j'en aurais le courage parce qu'il y a eu des moments difficiles, avec de grandes remises en question périodiques. Je commençais à m'essouffler de me représenter exclusivement dans les bars. L'effort n'aura pas été vain en fin de compte...
Titus - Dans cet album, on entend du rock du blues, du rhythm'n blues, du reggae même. Quelles ont été tes influences ?
Ecouter la réponse de Sylvie Paquette, sur CINN FM :
C'est curieux parce que, la première fois que j'ai touché à une guitare, j'avais quatorze ou quinze ans, et j'ai tout de suite commencé à composer, même avant d'interpréter des chansons. Donc, je pense que c'était naturel chez moi de vouloir m'inscrire sur un instrument de musique, de composer des mélodies et des textes. C'était le temps de l'adolescence et c'était une manière d'exprimer mes sentiments, une forme de journal intime. Ca a commencé comme ça, et c'est sûr qu'il y a eu des influences par après. Au niveau québécois, dans ces années-là, je me souviens que j'aimais beaucoup Harmonium. Diane Dufresne a été pour moi une influence majeure du point de vue de l'interprétation. J'ai toujours beaucoup aimé Joni Mitchell, Joan Armatrading, Tracy Chapman, des chanteuses folk. Mais j'aime aussi Peter Gabriel, Sting, ou les Red Hot Chili Peppers... J'aime les musiques inspirées. J'aime quand on sent que l'artiste qu'on entend est inspiré ou qu'il y a une espèce d'état ou de sentiment d'urgence. Et ça, peut-être que ça m'a été communiqué par ces artistes-là !
Titus - On parle d'influences, mais ton album m'impressionne en fait par son caractère singulier. On sent une empreinte personnelle très forte.
Sur ce disque, on retrouve des chansons écrites à plusieurs périodes de ma vie. "L'été en ville", par exemple, est l'une des premières chansons que j'ai écrites. Je l'avais sortie en 45 tours en 1987, et ça avait fonctionné un peu. Elle se retrouve aujourd'hui sur le CD, parallèlement à "J'fais le trottoir", qui est l'une de mes compositions les plus récentes. Celle-ci est plus rock, plus physique. Et en spectacle, je pense que j'ai plusieurs couleurs : un côté rock, un autre plus rhythm'n blues, funky quelquefois, et aussi un côté ballades folk où c'est plus doux. Ce sont des couleurs qui m'habitent et que je voulais retrouver sur l'album parce que j'aime autant chanter une toune rock qu'une chanson plus douce.
Ecouter la réponse de Sylvie Paquette, sur CINN FM :
Pour moi, c'était important qu'on respecte chacune des chansons, et avec Daniel Bouliane, qui a réalisé l'album, c'est l'objectif qu'on s'est fixé. On a eu vraiment le champ libre avec la maison de disques, et ça c'est l'fun, parce que je suis persuadé que l'album aurait été tout autre si on nous avait imposé une certaine structure de chanson ou si on nous avait dit : "Après tant de secondes, il faut que le refrain parte..." Moi, je suis guitariste et j'adore les guitares. Rick Haworth a beaucoup de talent à la guitare : c'est quelqu'un qui sait se fondre à l'artiste avec lequel il travaille. Ca a vraiment bien fonctionné et j'ai pu m'impliquer à fond dans chacune des chansons. Il y a eu des collaborations intéressantes, notamment avec Luc De Larochellière qu'on connaît, pour des textes de chansons. Ou aussi Patricia Lamontagne qui, elle, est moins connue puisque c'est surtout une auteure de romans. Je me suis entourée de gens intenses et je trouve que ça se sent sur l'album.
Ecouter un extrait de l'album Soul'Propos, la chanson Taxi reggae :
Titus - Rick Haworth est très présent dans la plupart des productions montréalaises actuelles, qu'il s'agisse de Paul Piché, Michel Rivard ou d'autres. Malgré tout, je n'ai pas l'impression que son empreinte soit ici fondamentale. Il vous a laissé beaucoup de liberté, non ?
Oui, et je crois que c'est une question d'écoute et de talent. J'ai travaillé avec Rick et Mario Légaré, qui jouent aussi avec Michel Rivard (ex-chanteur de la formation mythique Beau Dommage, ndr). Et ce que j'apprécie, c'est que mon album ne sonne pas comme du Michel Rivard. Ces musiciens-là sont capables d'écouter puis de se fondre à l'artiste. Et ça les amène aussi vers des espaces inconnus. Je pense que c'est ce qui s'est passé avec Rick : du fait que mon style est très personnel, il est allé dans une autre direction. Pour moi, c'est ça le talent, surtout quand on est directeur musical. Il est capable d'écouter, de sentir les forces puis aussi parfois les faiblesses qui font partie du style de l'artiste et de s'y fondre...
Titus - Ce premier album est fort réussi. Que nous prépares-tu pour la suite ?
Pour le moment, je travaille à la promotion de ce premier disque. Je suis pratiquement inconnue donc il y a encore beaucoup de travail à faire au niveau promotionnel. Puis après, je me représenterai sur plusieurs scènes, notamment dans l'Outaouais, en juin, au festival franco-ontarien, puis au festival d'été de Québec. Il va y avoir deux genres de spectacles : un show avec les musiciens qui ont joué sur mon album, et un spectacle plus intimiste, en duo avec Rick Haworth. Donc, on est en train de préparer ça. Le spectacle fait partie de ma nature parce que j'ai fait ça pendant dix ans. Le studio, c'était une autre étape. C'est sûr que c'est l'fun; on peut travailler beaucoup, peaufiner longtemps en studio, mais le spectacle, c'est là que la magie se passe parce qu'il faut communiquer ses chansons.
Titus - Du fait de l'absence d'artifices dans la production, j'imagine que la transposition de ce premier album sur scène a été relativement aisée, non ?
Effectivement, parce que quand on a commencé à travailler les chansons, on n'a pas utilisé de séquenceurs ou de machines. C'est Rick qui s'est chargé de la direction musicale. Pour les arrangements, c'est moi, c'est Rick, c'est Mario Légaré, Claude Castonguay aux claviers, tous les musiciens qui étaient là. Au début, on a monté les chansons dans un local de répétition et après, on est entrés en studio. On voulait qu'il y ait cet effet "live". Sur scène, ce que j'ai déjà pu expérimenter depuis le lancement de l'album, ça rend très bien. Il n'y a pas beaucoup de dubbing sur l'album, donc c'est très bien restitué sur scène !
Titus - Pour conclure cette interview, peux-tu nous dire deux mots sur la chanson "Je crois", l'une des très belles ballades folk de Soul'Propos ?
Je l'appelle ma chanson de lumière. Elle m'a fait beaucoup de bien quand je l'ai composée. Je l'ai écrite avec Luc De Larochellière.
Ecouter un extrait de la chanson "Je crois" :
DISCOGRAPHIE :
Soul'Propos (1993)
Oser (1997)
Souvenirs de trois (2000)
POUR EN SAVOIR PLUS :
Le site officiel de Sylvie Paquette
Le site MySpace de l'artiste