Magazine Beaux Arts

Silence visuel

Publié le 29 septembre 2007 par Marc Lenot

Mario Garcia Torres,  à la fondation Kadist jusqu’au 18 Novembre, est un artiste du transparent, de l’invisible, qui agit dans l’interstice entre le réel et le mystérieux. De lui, j’avais vu à la Maison Rouge un film baroque où des jeunes gens mimaient des personnages des films préférés du dictateur nord-coréen, scénario improbable, série sans queue ni tête.

Ici, on navigue entre l’immatériel, l’improbable, le fictif et le lumineusement évident. En entrant derrière les vitres teintées de la fondation, on est saisi par un bruit répétitif, régulier, énervant, dérangeant : c’est la gomme de Rauschenberg effaçant un dessin de de Kooning, tâche qui lui prit un mois (?). Le geste iconoclaste de Rauschenberg n’est plus visible, seule subsiste la feuille de papier blanche, un peu sale, un peu éraflée sans doute. Mais nous n’aurons ici que la trace de la trace, que le vestige sonore, mal enregistré et chuintant, de l’opération, de la “création” artistique de Rauschenberg (”An undisclosed month in 1953“). Effacement, manque, absence, vide : c’est le moteur de Mario Garcia Torres. Son site renvoie à une oeuvre vide (”An old net.art piece from 2001 that has been recently recuperated”); mais est-elle vraiment vide ? En avons-nous exploré chaque pixel ?

Que ce soit la projection d’une diapositive vierge qu’il a conservée un mois dans sa poche, oeuvre qui s’est créée toute seule par accumulation de poussières, craquelures et froissements (ci-contre Août 2007), ou que ce soit la liste de dates mentionnées dans des films (de la mort de Mozart dans Amadeus le 5 décembre 1791, à la fin du monde d’après Ghostbusters le 14 décembre 2016) retranscrite à la On Kawara par “The man who never forgets dates in film” et projetée dans un film vétuste (”Monochronic Film on a Polychronic Story“), il n’est question que de création accidentelle, détournée, tangente.

Le summum est atteint avec l’invention de l’artiste Oscar Neuestern, supposé mentor de Mario par l’intermédiaire d’une certaine Kiki Kundry (d’après un personnage énigmatique de Parsifal ? ou d’après un astéroïde qui rencontrerait l’Etoile nouvelle ?). Grâce à Neuestern, Garcia Torres (ou Miss Kundry) comprend que “les non-dits sont plus importants que les paroles. Neuestern bâtit sa carrière artistique sur une absence, il aurait été surpris que le vide et l’effacement laissent des traces.” 

Et c’est ainsi que défilent des diapositives sur la transparence, monochromes du blanc au noir en passant par toutes les nuances de gris, avec un aphorisme au bas de chacune. Il faudrait les citer toutes. En voici deux; il vous faudra cliquer dessus pour les lire, c’est sans doute voulu (”The Transparencies on the Non-Act”). Silence visuel.

Non seulement, pour une fois, un travail conceptuel est hilarant, ce qui n’est guère fréquent, mais en plus il est dense, réfléchi et plein de sens. Une des diapositives finales dit : “Une oeuvre est a son paroxysme quand elle se trouve être un geste infime devenant productif lors de sa déformation publique.” Chapeau, Mario !

Photos copyright Mario Garcia Torres, courtoisie Kadist Art Foundation.


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