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La grand-mère de Jade, Frédérique Deghelt, Actes Sud

Publié le 05 juillet 2009 par Irigoyen
La grand-mère de Jade, Frédérique Deghelt, Actes Sud

La grand-mère de Jade, Frédérique Deghelt, Actes Sud

Il y a quelques semaines, j’ai animé à la librairie Soif de lire de Strasbourg une rencontre entre les écrivains Fatou Diome - éditée chez Flammarion - et Richard Andrieux – qui publie chez Héloïse d’Ormesson -. Il me semblait intéressant de mettre en regard ces deux romanciers dont les derniers opus parlent, entre autre, du manque de solidarité, d’écoute dans notre société occidentale.

Ce thème est également présent dans La grand-mère de Jade, dernière production de Frédérique Deghelt, qui est sortie en début d’année et dont j’ai tardé à vous parler. Il s’agit d’un roman construit autour de deux personnages. D’un côté Jade, jeune femme qui pige pour la presse écrite et, à ses heures perdues, écrit. De l’autre, sa grand-mère, Jeanne que sa petite-fille surnomme « Mamoune » :

« Chez eux (les Indiens kogis en Colombie), les chamans étaient des mamu. Vieux et sages, ils dirigeaient le reste de la tribu après avoir passé dix-huit ans dans l'obscurité. »

Jeanne est peut-être parvenue à la sagesse mais elle a surtout atteint, pour ses enfants, un âge où l’on met les vieux à l’écart. On comprend mieux, dès lors, les propos d’une Africaine qui, quelques années plus tôt a mis en garde Jeanne :

« Dors avec tes enfants quand ils sont petits, sinon ils ne s'occuperont pas de toi quand tu seras vieille. »

Finie donc la vie à la maison pour Jeanne. Direction le mouroir, pardon, la maison de retraite que l’intéressée ne semble pas considérer avec horreur tant elle semble douter de ses capacités à continuer sa vie :

« J'ai peur de ne plus me souvenir et d'être incapable de m'occuper seule de ma petite existence. »

Mais ces plans vont être contrecarrés par Jade qui a décidé « d’enlever » sa grand-mère et lui offrir le gîte et le couvert. Cette attention envers les ancêtres n’est pas si courante sous nos latitudes et dont Frédérique Deghelt nous rappelle, indirectement, la persistance sous d’autres latitudes.

Il faudra deux semaines avant que la « merveilleuse » progéniture de Jeanne se manifeste enfin. S’ensuit une première visite de Denise, l’une des tantes de Jade, qui, racontée par l’ancêtre prend une saveur particulière :

« Ma jolie Denise a fait refaire son nez. Elle a tourné la tête pour fuir mon regard quand je m'en suis étonnée. Elle ne pensait pas que je le verrais ! Comment la fabrication d'un nez par un chirurgien aurait-elle pu abuser une mère auteur de l'original ? »

L’auteur n’a de cesse ici de souligner l’importance de la solidarité intergénérationnelle. La négligence manifeste des jeunes générations envers leurs aïeux témoigne d’un manque de temps dont l’auteur parlait en filigrane dans son précédent roman – voir chronique ci-dessous -.

En consacrant du temps à Jeanne, Jade découvre ainsi toutes les richesses intérieures de sa grand-mère, et d’abord sa force : 

« Quand Jean est mort, je croyais que le monde allait s'écrouler. Que je deviendrais visible parce qu'il n'était plus là pour cacher mes erreurs, mes manques, plus là pour me protéger. Mais rien de tout cela n'est arrivé. J'ai juste découvert que j'avais vieilli. Ma vie avec Jean m'avait caché cette vérité. Je me voyais dans ses yeux qui restaient ceux de notre jeunesse car, moi non plus, je ne le voyais pas avancer sur le chemin du temps. »

Une grand-mère qui lit beaucoup, sans en avoir jamais dit mot à son mari, c’est précieux pour une petite-fille qui écrit. Jade remplit en effet des cahiers, et c’est précisément Jeanne qui va la conduire tout droit dans le monde de l’édition, par un concours de circonstance dont je ne dirai bien sûr rien ici.

On voit bien, finalement, comment les rôles s’inversent. Comment un individu qui est censée être en bout de course finit par incarner à nouveau l’avenir d’une jeune fille à qui elle donne quelques précieux conseils :

« Ne laisse pas la journaliste dévorer l'écrivain. »

Il y a aussi, dans ce roman, un hommage très émouvant rendu à la littérature. Cet art qui change les destinées.

« Je ne remercierai jamais assez la lecture qui m'a permis de vivre au-dessus de la condition, me montrant ce que je côtoyais tous les jours comme si j'étais au spectacle. Ces personnages étriqués et avares qui remplissent nos campagnes avec des allures de notable. Leur concupiscence m'est apparue comme mise en lumière dans les pages. Quand je relevais la tête, je les voyais soudain plus vrais que nature. Je pouvais leur mettre d'autres noms, mais les mobiles étaient les mêmes. Parfois les mots ressemblaient à ceux que j'entendais mais ils tissaient les destins en les pointant du doigt et je bénissais les écrivains qui me dévoilaient ma vie de village que je voyais soudain avec d'autres yeux. A partir de cette grâce, j'ai cessé de me demander si j'avais droit aux livres, si ces histoires n'étaient pas réservées aux gens cultivés, aux gens de la ville. J'ai compris que le miroir offert par ces fictions me serait désormais indispensable. L'école de Jules Ferry m'avait appris à lire, celle de la lecture m'apprendre à vivre. »

Raconter la fin serait une stupidité doublée d’un très mauvais service rendu à l’auteure qui relativise finalement cette trop belle histoire. C’est peut-être aussi ce qui m’a plu dans ce roman : il n’y a pas de réalité aussi rose que celle décrite dans les neuf dixièmes du livre. Cela pourrait être ainsi mais pour cela il faudrait que nous acceptions de changer de regard.

Après tout, la littérature y contribue et si elle peut encore accélérer le mouvement, c’est tant mieux !


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