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Souvenirs de Luis Bunuel

Par Inisfree
Bunuel Blog-a-thon

Le premier film de Luis Bunuel dont je me souvienne, c'est La mort en ce jardin (1956), un film d'aventures dans la jungle dont j'ai un bon et lointain souvenir. Souvenir de machettes progressant à travers les lianes, de Simone Signoret en robe du soir au coeur de la forêt vierge, de Michel Piccoli en curé faux-cul, de Georges Marchal en héros de marbre classique et cette image d'un serpent dévoré par les fourmis,

Une image qui ramène immédiatement aux fourmis dans la main de son premier coup d'éclat : Un chien andalou. Un chien andalou, bien sûr, que je ne me lasse jamais de voir et que, suivant les conseils de son auteur, je me garde bien d'interpréter, que je regarde comme on écoute un instrumental de jazz sophistiqué et joyeux. Ludovic s'interroge sur la force subversive de Bunuel dans notre époque si friande de récupération. La force de ses images me semble toujours redoutable et j'ai beau l'avoir vu et revu, le passage de l'oeil tranché au rasoir est toujours insoutenable. Il fait toujours crier dans les salles. Force non des images mais de leur enchainement. Force de pur cinéma.

Le cinéma de Bunuel, pourtant, J'ai eu un peu de mal au début. La première fois que je l'ai vu, j'ai rejeté en bloc Le fantôme de la liberté. Trop jeune sans doute. J'ai appris depuis ce qu'était un cadavre exquis et à apprécier à leur juste valeur le pantalon percé aux fesses de Michael Lonsdale, les cartes postales de Brialy et cet extraordinaire séquence qui inverse les conventions de la salle à manger avec celles des toilettes. Et pour faire le chemin vers le cinéma de Luis Bunuel, j'ai suivi ses femmes.

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La présence de Catherine Deneuve dans la note précédente n'est pas une simple expression de mon obsession favorite, c'est véritablement par elle que je suis venu à Bunuel et c'est largement par ses deux rôles de Tristana, d'abord, puis de Séverine dans Belle de Jour que j'en suis venu à la mettre très haut dans mon panthéon d'actrices. Deneuve donc, puis quelques classiques comme Los Olvidados, l'un des rares films à monter dans l'enfance la dimension de cruauté mais aussi d'érotisme avec ce lait qui coule le long des jambes de l'adolescente, Alma Delia Fuentes. Et puis les seins de Simone Mareuil. Et le regard noir d'Angela Molina. Et l'étreinte finale dans l'autobus de Subida al cielo (La montée au ciel). Et les bottines de Jeanne Moreau. Et le mannequin d'Archibald de la Cruz dont toutes les femmes de ce film sont plus sublimes les unes que les autres. Et la robe de mariée de Silvia Pinal. Et puis encore Deneuve attachée, Deneuve fouettée, Deneuve alanguie sur le gisant, Deneuve et son regard d'indécente innocence, Deneuve en nuisette, Deneuve et ses béquilles, Deneuve nue sous ses voiles... Ah ! Luis Bunuel, les deux genoux en terre et les larmes aux dents, je vous remercie d'avoir ainsi nourri inlassablement mes fantasmes. Et avec élégance encore, avec pudeur et, ce qui est sans doute capital, avec humour.

Le véritable pouvoir subversif de Bunuel, il est là, dans sa façon de mettre le plaisir en avant, l'amour fou cher aux surréalistes qui dévaste la société bien ordonnée de L'Age d'Or. Et puis de celles qui ont suivi. Ce dérèglement des sens qui bouleverse la bonne éducation, c'est ce qui perd tous les vieux beaux bunueliens possédant la barbe grisonnante de Fernando Rey, se laissant aller à leurs pulsions érotiques. C'est ce qui fait exploser les conventions, le vernis de civilisation et amène l'homme respectable à se balader fesses à l'air à la recherche de quelques coups de fouets.

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Comme je l'écrivais pour Bergman, le cinéma de Luis Bunuel est bien vivant. Il appartient à cet âge d'or où se sont bâties des oeuvres résolues et puissantes, des visions qui arrivaient à trouver et séduire un public large. Luis Bunuel est toujours allé au bout de ses visions avec élégance et détermination. Dans ce film sublime qu'est El angel exterminador (L'ange exterminateur), il pousse ainsi une idée fantastique jusque dans ses derniers retranchements et se refuse avec superbe à donner la moindre prise à une explication rationnelle. Le rationnel ne l'intéressait pas. Les films de Luis Bunuel sont « de l'étoffe dont on fait les rêves ».

Photographies : El Ojo de Buñuel  (avec une superbe photographie de Bunuel entouré du gratin hollywoodien) et Cinemexicano100.


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