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"Terreferme", de Jean-Pascal Dubost (lecture de Tristan Hordé)

Par Florence Trocmé


Terre ferme - autour du sol nourricier, solide, nourricier en tous sens comme on le lit dans la première page faite d'une série de variations à partir du mot terre : il entraîne par exemple terre d'écriture, écriterre, ou terra mater, ma terre, ta mère, ou par terre, pater, ou une allusion à T. S. Eliot ( terre vaine). Il est bien question aussi de la ferme dans le livre, ce qu'annonce notamment cul terreux, cul taiseux. Le titre de ce premier texte, "Rets", évoque la capture des mots, l'énumération et la poésie d'avant l'âge classique où l'on retrouve le goût des séries et qui emploie des mots comme rets (par exemple, Ô mille morts en mille rets tendues,chez Louise Labé). L'emploi de "(une flaupée)"en sous-titre renvoie au nombre des variations et à un registre familier, antérieur lui aussi au XVII e siècle.
Ce titre à l'ouverture est bien un programme pour une quête qui échoue : parti à la recherche de fermes modèles anciennes, le narrateur découvre ce qu'elles furent seulement dans des ouvrages anciens, qui recommandent une organisation sévère des travaux de la ferme. Riennon plus n'aide à comprendre les étapes de la destruction des paysages dans cette région de Segré (Maine-et-Loire) - ici nommée avec le passage de sacrée terre à Segré terre via secretum. Le visiteur ne peut que constater son incapacité à rêver dans les lieux qu'il parcourt pour découvrir des traces du passé, et l'appareil photo n'y est d'aucun usage " pour capter du Temps, invisible dans sa trop grande visibilité ".
La symétrie qui commandait la construction des bâtiments et l'organisation rationnelle de l'agriculture ne peut convenir à Jean-Pascal Dubost, ce ne sont pas des modèles pour l'écriture pas plus que les villages fleuris. Le temps, n'est-ce pas, ne se saisit pas en écoutant les souvenirs d'Alfred, un ancien ouvrier agricole, mais par la langue :



À l'écart donc des (fermes) modèles introuvables. Reste à continuer de sillonner la campagne, en restituant à sa manière des bribes de ses errances, de ses " errements hasardeux ". La manière ? Un apparent désordre, y compris dans la versification puisque la distinction entre vers et prose est explicitement abandonnée :



La justification n'apparaît que dans la reprise d'un article de journal, encadré, ou d'articles de loi, et régulièrement dans les "Vies" de propriétaires des fermes modèles. Jean-Pascal Dubost détourne avec jubilation un genre du Moyen Âge pour relater ce que furent les grands propriétaires des fermes modèles, ici mimant la langue du XVI e siècle, là réduisant un nobliau au produit de son entreprise (Vie d'Olivier de Rougé / Le Maine-Anjou, c'est lui , A.O.C. -), ailleurs versifiant rimant jusqu'à l'étourdissement :



Vide d'une vie...
À côté de ce jeu avec un genre, on découvrira la copie d'une page manuscrite, avec ses ratures, renvois, mots barrés et ajouts en marge : vrai paysage d'écriture. Une petite exploration de ce que recouvre le mot boue, ou viennent dans la page des modèles de dissymétrie, Rabelais (il est aussi ailleurs) et Rimbaud, l'évocation de l'étrange forêt de Brocéliande et les


Deux pages, titrées "Spleen final", questionnent le parcours emprunté et l'auteur avoue un " sentiment d'échec et de travail mal fait ". On voudrait que beaucoup de publications s'achèvent de cette façon - mais j'estime cette sévérité injustifiée. Sans doute patauge-t-on dans certaines pages, qui n'ont pas la vivacité, l'alacrité qui caractérisent le travail de Jean-Pascal Dubost. Mais le plus souvent, on reconnaît son attention à la forme, son goût et sa connaissance de la littérature du passé et, dans son désordre, cette esquisse d'un art poétique : " notre maître rythme, n'est-ce pas l'irrésolution, et notre maîtresse forme, l'imperfection ? "
Contribution de Tristan Hordé
Jean-Pascal Dubost
Terreferme,
L'idée bleue, 2009,


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