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22-La cave

Par Basile

Durant les deux minutes pendant lesquelles se déroula la conversation téléphonique, Vladimir conserva cette apparence de sérénité et de force mêlées qui émanaient de lui depuis le début; seuls deux légers plis sur son front indiquaient qu'il écoutait avec grande attention ce que lui communiquait son interlocuteur. Lorsqu'il raccrocha, ses yeux se portèrent sur sa fille qui s'était assise sur une banquette recouverte d'un tissu bordeaux, puis il fit signe à Oleg. Sally ne perçut que quelques murmures discrets mais énergiques entre les deux hommes, puis le vieilliard russe quitta la pièce sans un mot. Bien qu'interrompu dans l'explication de sa trahison envers le "Brigadier", Vladimir ne crut pas bon de poursuivre sur ce sujet; toujours devant la fenêtre, il reprit la parole:
- "Tu dois sûrement te demander pourquoi je te raconte tout ça...tu n'as pas grand chose à voir avec l'Organisation...da...". Il semblait réfléchir à ce qu'il allait dire.
"Paul...explique à ma fille ce que je veux qu'elle sache!"
Sally ne comprit pas tout de suite le sens de ces paroles, puis elle s'aperçut soudain qu'un jeune brun et souriant se tenait - sans doute depuis le début - au fond de la pièce. Celui-ci s'avança, faisant craquer le vieux parquet en chêne sous ses pas, et d'un air très poli il lui tendit la main:
-"Bonsoir Sally, je suis Paul...un ami d'Oleg. Je me doute que tout ce qui se passe doit te paraître confus, mais je suis là...avec ton père...(il leva les yeux vers le grand Russe)...pour que tu connaisses une vérité qu'on t'a tenu secrète depuis longtemps. Sally, tu as un frère en vie à l'heure où je te parle...je suis son meilleur ami, d'où ma présence ici et..."
Paul dut s'arrêter devant les larmes qui s'écoulaient doucement du doux visage de la jeune fille. Aucun sanglot n'était perceptible, mais l'émotion l'étreignait fortement. Il reprit malgré tout:
-" Si ton père t'a parlé de John Keller tout à l'heure, c'est pour que tu comprennes qu'il est le père de ton frère: Steve...c'est le nom de ton frangin...est le fils de ta mère et de John Keller...c'est...c'est tout."
A ce moment, Oleg pénétra dans la pièce et fit un signe de tête à Vladimir. Ce dernier prit alors un ton plus pressé et plus dur: "Ecoutez-moi, je dois écourter notre entrevue d'aujourd'hui...Oleg va vous conduire ailleurs. Sally, je te recontacterai ma fille..." Sans un mot ou une marque d'affection supplémentaire, il s'éclipsa tandis qu'Oleg, qui avait revêtu une redingote vert foncé, les engagea à le suivre vers l'arrière de la maison. A l'autre bout, ils empruntèrent une trappe ouverte à même le sol, descendirent un escalier qui les mena dans une cour; quelques secondes plus tard, cette petite troupe sortait d'un porche dans la rue des Ecouffes.
Au même moment, toutes les lumières de la maison d'Oleg Smerdanov s'étaient éteintes et le silence règnait. C'est un léger grattement qui perturba d'abord l'apparente tranquillité du lieu, puis ce fut le grincement caractéristique de la porte d'entrée. Les deux hommes vêtus de noir, aux cheveux coupés très courts et munis de deux revolvers prolongés par des silencieux n'eurent le temps que de faire deux pas avant de recevoir un violent coup sur le crâne et de s'écrouler à terre.
Lorsque sa conscience s'éveilla peu à peu, l'homme, les yeux brouillés, ne distingua au départ qu'une lumière crue un peu au dessus de lui. Les sensations lui revenaient, notamment celle qui lui apprit que ses deux mains étaient attachées dans son dos tandis qu'il était assis sur une chaise. Enfin, la pièce lui apparut distinctement: un néon éclairait ce qui était manifestement une cave; une forte odeur d'humidité et de pourissement le prit à la gorge, mais c'est un autre détail qui coupa court à cette constatation olfactive. A 4 ou 5 mètre en face de lui, son comparse se trouvait dans la même position, mais pas dans le même état: son visage tuméfié et sanglant était couvert d'hématomes violacés, et de la bave mêlée à du sang coulait de sa bouche. Un grande silhouette s'avança vers lui et une bouche barrée d'une cicatrice s'adressa à lui: "Comme tu vois, ton ami a eu quelques problèmes pendant que tu dormais...Mais il est coriace. Normal, vous êtes entraînés pour ça. Il ne parlera pas et toi non plus, alors tu vas ouvrir bien grand tes putains d'yeux et tu gravera ça dans ta mémoire!"
Deux hommes se tenaient dans un coin de la cave, mais ce ne fut pas eux qui provoquèrent un sursaut de terreur chez l'homme: celui qui venait de s'adresser à lui avait à présent une grande hache dans les mains, et semblait manifestement savoir s'en servir.
"Regarde ce que la Russie réserve aux traitres!" La hache s'abattit violemment sur l'épaule de son complice qui hurla en éructant du sang. Son bras gauche gisait à terre et l'os ensanglanté dépassait à présent de l'épaule. Dans un second accès de fureur, le balafré sectionna le bras droit dans un geyser de sang qui macula le sol. La victime poussait des gémissements rauques entrecoupés de gargouillis répugnants: sa conscience et son équilibre se brouillaient irrémédiablement, et il chuta lourdement sur le côté, écrasant le moignon de son épaule gauche. Le sang coulait abondamment, répandant une odeur insoutenable dans toute la pièce. L'homme à la hache, les yeux injectés de sang, ne semblait pas y faire attention: "Tu raconteras à ceux qui t'envoient ce que tu as vu dans cette cave...et comment je traiterai quiconque tentera de toucher à mes proches, compris?! Vous avez foiré votre mission de tueurs, mais tu dormira plus jamais tranquille..." Il leva à nouveau la hache et l'abattit de toutes ses forces dans l'abdomen de l'homme à terre. Celui-ci sentit son estomac exploser sous l'impact de la lame, et un flot de sang et de bile lui remonta dans l'oesophage tandis que ses tripes glissaient hors de son ventre. Ce fut la dernière sensation qu'il éprouva avant de crever.
Une demi-heure s'était écoulée depuis le départ de ses deux partenaires. Ses yeux d'ambre brillèrent dans l'obscurité de la voiture. "C'est foiré, je le sens", pensa-t-il. Ses mains gantées de noir se posèrent sur le volant. Il mit le contact, puis la puissante Audi s'éloigna rapidement.

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