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Am Anfang : les ruines

Publié le 09 juillet 2009 par Marc Lenot

09-07-2009-1153-52_edited.1247133874.jpgA l’Opéra hier soir pour le spectacle d’Anselm Kiefer célébrant les vingt ans de l’Opéra Bastille et la fin du mandat de Gérard Mortier. Salle à moitié vide, nombreux départs de spectateurs pendant la pièce, applaudissements timides et petite bronca à la fin, plus article du journaliste opéra du Monde éreintant la pièce l’après-midi même : clairement pas un spectacle pour les amateurs classiques d’opéra, encore plus dérangeant que Viola, par exemple.

Le difficile, pour moi, est de me positionner face à ce spectacle avant d’en parler : le regardé-je comme spectateur d’opéra, ou de théâtre, et je n’y retrouve aucun des codes auxquels je suis habitué. Si je l’appréhende comme une oeuvre d’art plastique, la voir à distance, ne pas pouvoir la pénétrer, m’y mesurer est tellement différent de mes expériences passées avec Kiefer que j’en suis frustré. Les prophéties de Jérémie et d’Isaïe, qui forment l’essentiel du texte, inspireront certains, mais ces récits de désespoir et de violence aveugle ne résonnent guère en moi par eux-mêmes. J’ai bien aimé le fait que la voix les récitant soit masquée, pas toujours très audible, couverte par la musique : que ces textes arrogants restent en arrière-plan, qu’on ne leur prête qu’une attention distraite, qu’ils ne soient là que pour brosser la scène à grands traits. Que nous importe que Jérémie (25, 15-27) invite tous les rois de la région, tous vus comme ennemis d’Israël, Pharaon, l’empereur des Mèdes, le roi de Tyr et Sidon, les rois des Philistins et le roi d’Arabie à boire, devenir ivres et vomir, à tomber sans se relever : le prophète mis au goût du jour.  

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Non, je crois qu’il faut s’abstraire de ce discours, oublier ces références historiques et voir Am Anfang comme une célébration de la ruine, lointaine réminiscence du XVIIIème siècle ou écho aux ruines contemporaines, de Dresde à Gaza (justement cité par Jérémie ci-dessus). Le décor n’est que ruines et on se prend à espérer que tout va s’écrouler à la fin (quelques gravats tombent bien des combles, mais c’est tout; dommage, un effondrement final aurait été une belle conclusion - le 14 juillet, peut-être ?). Deux femmes errent dans les ruines, comme toutes les femmes après les guerres; les hommes sont absents, morts ou prisonniers et ce sont les femmes qui reconstruisent, les femmes qui écrivent l’histoire, qui témoignent des horreurs, des violences faites à leurs enfants, à leur chair, à leur pays. Peu importe que Kiefer nomme l’une Chekhina et l’autre Lilith, elles sont immémorielles, intemporelles. D’autres femmes reconstruisent, on entend, mêlé à la musique de l’orchestre, le cliquetis cristallin et aquatique des briques qu’elles nettoyent et assemblent pour un mur dérisoire, faible protection contre la violence. Le temps s’étire, rien ne se passe, la litanie se poursuit, la guerre est sans fin, les ruines sont éternelles. Que leurs habitations paisibles sont détruites, continue Jérémie, que leur pays soit réduit en désert.

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Le plus beau moment est la dernière minute quand les cantonnières, vêtues de longues robes couleur sable, enturbannées et parfois à demi voilées, qui, pendant tout le spectacle s’étaient tenues à cour, affairées à leur travail de construction, avancent du fond du plateau vers nous pour le salut final : seize femmes de sable, mais dures comme des rocs, seize héroïnes que rien ne fera fléchir, seize beautés sans hommes avancent vers nous en groupe, comme une manifestation silencieuse, comme une affirmation de l’espoir, de la renaissance, de la reconstruction, malgré tout.

De ces ruines, j’ai tenté de tirer un message d’espoir, sans doute assez loin de ce que Kiefer a voulu (ou en tout cas de qui est écrit dans le livret-catalogue), mais qui m’a paru bien plus pertinent que Chekhina et Lilith. 

Comme le livret-catalogue inclut quelques photos des ruines de Berlin en 1946, les plus récentes dit le texte introductif de Kiefer. J’ai choisi d’actualiser, avec des ruines toutes fraîches, de l’année.


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