"L'homme ne peut jamais apprendre la voie du dépouillement. On peut bien enseigner celle de la sainteté : elle est comprise de tout le monde. Mais celle du dénuement n'est comprise que de ceux que Dieu y appelle et dans le temps qu'Il les y appelle, et cela avec une économie de sagesse si admirable que, quelque connaissance que l'on ait et quelque expérience que l'on fasse des dépouillements conforme au degré présent, on ne s'imagine même pas ceux qui sont plus avancés. Il en est comme d'un homme qui ne sait ce qu'il a ni ce qui l'environne, à qui on dit qu'il faut être nu et se dépouiller : il se laisse ôter sa robe, et comme il ne connaît pas qu'il y ait d'autre vêtements, il ne comprend pas qu'il y ait pour lui d'autres dépouillements ; mais, lorsque la première robe est ôtée et qu'il aperçoit la seconde, alors il voit bien qu'il faut encore en être dépouillé, et ainsi des autres".
Madame Guyon, Lettre à Fénelon. Entre le 25 avril et le 15 mai 1690. Oeuvres mystiques, édition critique et introductions par Dominique Tronc, Honoré Champion, 2008, p. 438.
Cet encouragement à se laisser dévorer sans fin semble contredire une approche "directe". En réalité, ce sont deux versants d'une même expérience. La présence de Dieu est immédiate. Dieu ou la conscience ne varient pas, ne connaissent aucun développement. En revanche, ce que cette présence nous "fait" s'approfondi sans fin. A l'image d'un zoom interminable sur une figure fractale, les méandres de l'âme n'en finissent jamais de se découvrir. C'est pourquoi une approche "directe" n'est nullement un signe de suffisance. Elle va au contraire avec une vive conscience du caractère à jamais imarfait de l'âme.