« Une catastrophe ». Si je devais retenir un mot, une expression utilisée par tous ceux qui me décrivent leur métier, leurs milieux professionnels, leur vie depuis 30 ou 40 ans, ce serait celle-là : une catastrophe. J’aime bien causer avec mes patients, leur faire raconter leur vie, leur métier, chaque fois des trajectoires singulières, uniques, parfois banales mais souvent émouvantes voire tragiques. Telle femme au parler germanisant née en avril 1945 à Berlin ( !) qui raconte avec difficultés les horreurs vécues par ce peuple condamné par l’histoire et qui m’évoquent immédiatement ce Journal d’une femme à berlin. Telle autre, née pendant la guerre aussi en Ukraine, traversant, seule avec sa mère, l’europe Orientale en feu, embarquant par miracle avec quelques milliers d’autres civils dans l’enfer de Memel, sous le feu des Soviétiques, et faisant surgir Grossman et ses Carnets de guerre ou Guy Sajer devant mes yeux; aujourd’hui grand-mère tranquille et douce élevant ses petits-enfants dans le sud de la France. Tel autre, rescapé des combats de la RC4, prisonniers des viets et trimbalé dans la jungle, blessures ouvertes nettoyées par les vers ( !), échangés en 1955 contre d’autres prisonniers et rapatrié en métropole, débarquant dans le port de Sète sous les insultes et les crachats de militants communistes…aujourd’hui bon pied bon œil, me donnant des conseils sur la culture du géranium. Je n’invente rien, il suffit de gratter un peu, de montrer qu’on s’intéresse à leur histoire. Et il y a de quoi, bien souvent.
Et donc, une catastrophe. Les enseignants notamment ceux qui partent bientôt en retraite ou déjà retraités qui ont vu monter les nouvelles générations d’élèves et de collègues. Pas question de généraliser ou de jouer au sociologue de bistrot mais le consensus est écrasant : des élèves de plus en plus incultes, irrespectueux, arrogants et violents et des profs également incultes ou faisant le minimum, ayant intériorisé la faillite du système éducatif mais ne rechignant pas à accompagner les fossoyeurs du système dans les cortèges syndicaux… Récemment une femme magistrate, me décrivant la lente démission des jeunes autorités judiciaires montantes et leur indigence quotidienne, relachant à tours de bras quantités de chances pour la France, multirécidivistes et toujours plus haineuses, au grand dam de flics castrés et sommés d’écrire un rapport en 12 exemplaires dés qu’ils sortent leurs flingue. Plus prés de moi, mes collègues médecins, jeunes ou moins jeunes. Moi-même, certainement. (Comment y échapper ?)
Partout ce sentiment de déclassement, de décivilisation, d’ensauvagement de classes professionnelles et sociales, véritables élites d’une nation (rien à voir avec les « élites » au sens progressiste ou Sarkosyste du terme, cette ploutocratie arrogante arrimée aux valeurs les plus vulgaires de la bourgeoisie triomphante).
Entendons-nous, je ne suis pas décliniste (n’étant pas progressiste), je ne crois pas que cela ait été forcément ou systématiquement mieux auparavant. Il n’y a pas de sens de l’histoire, seulement des cycles.
Mystérieux, tout ça ! Faut des antennes pour percevoir ces petits signes qui disent une époque.
Hier encore, bonne discussion avec un copain perdu de vue depuis des années, Franciscain, vivant avec des clodos dans la ville rose, passionné de sports de combats dans sa jeunesse et encore capable d’estourbir n’importe quelle pépite de la nation en deux mouvements : proche de la théologie de la libération (ce mariage de la carpe et du lapin), il me racontait, Davidoff au bec, la vague sans précédent (lui qui connaît le terrain depuis plus de 20 ans) de conversion de jeunes européens à l’Islam dans les banlieues populaires…question de survie, dis-je ? Oui, question de survie, essentiellement.
Il y a bien sûr ces nouvelles invasions barbares en Europe, depuis deux générations, qui voient s’installer définitivement dans le Dar al arb, des populations africaines et asiatiques toujours plus nombreuses et essentiellement musulmanes. Et ce ne sont pas les lettrés, les érudits, les élites Maghrébines, Ottomanes ou sub sahariennes, épris de disputatio, qui viennent, mais des hommes et des femmes bousculés par l’histoire, un peu comme ces Wisigoths et ces Germains bousculés par les terribles Huns de l’ascète Attila. Ou comme ces Perses balayés par Alexandre. La tectonique des peuples. Contrairement à nos amis progressistes et libéraux je ne crois pas que l’on change de culture comme on change de chemise : ces migrants restent des orientaux en europe, des africains en europe et participent par leur simple présence à cette déculturation et à cet ensauvagement des peuple européens.
Il y a aussi –et surtout- cette anomie européenne : les européens en majorité ne connaissent plus leur histoire, leur civilisation. Dominique Venner utilise le terme de dormition pour expliquer à quel point nous vivons aujourd’hui dans un monde étranger à notre culture. Un monde essentiellement technicien, matérialiste, consumériste, horizontal fait de démesure (l’hubris des anciens) et d’absence de toute transcendance. Egalitaire au mauvais sens du terme : des masses incultes soumises à la doxa productiviste consumériste (homo oeconomicus) cornaquée par quelques élites nomades (Danny boon à San Francisco haranguant les habitants du Nord ou BHL pérorant de son loft New Yorkais sur un pseudo anti sémitisme ontologique Français) endogamiques et arrogantes méprisant toute souveraineté populaire (« populisme »), une apparence de démocratie (ce spectacle de Baudrillard), etc. Les européens sont soumis à un nomos étranger à leur culture, d’abord parce qu’ils l’ont oublié et parce qu’ils ne la transmettent plus à leurs enfants. Trader posait récemment la question de savoir ce qu’était un Européen aujourd’hui : tout est là ! Y répondre c’est se donner les armes pour défendre et transmettre sa culture. Y répondre c’est aussi accepter sans peur l’altérité, voire refuser l’altérité si celle-ci est une menace.
Tout cela à l’apparence d’une tragédie antique : des Européens battus et culpabilisés comme jamais (anti racisme totalitaire, culte indépassable du génocide Juif, acceptation inconditionnelle de l’Autre, ethno masochisme, pseudo universalité de la culture Française, héritage délétère d’un christianisme moribond, etc..), pressés de disparaître et de se fondre dans l’Universel. Le chœur mortifère de ces bonnes âmes globalisées, ces gentils clercs moralisateurs du haut de leur citadelle climatisée, des Dieux sourds ou hostiles laissant les Achéens brûler leurs navires… avant de prendre l’Ilion.
Un regard contemplatif, c'est tout.
"Ils s'accoudèrent dans l'ombre au bastingage"
Archiloque de Parson, Fragments.