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A propos de l’empreinte laissée sur la Lune le 20 juillet 1969

Publié le 19 juillet 2009 par Philippe Di Folco

Comment peut-on être sûr qu’un tel événement a bien eu lieu ?

A propos de l’empreinte laissée sur la Lune le 20 juillet 1969
Nul ne s’aventurerait jamais à nier la véridicité des nuits (et des graffiti) écrites en cette fin du XVIIIe siècle par Restif de la Bretonne au cœur même de Paris (cf. Goulemot, Rétif de la Bretonne, Université de Lille III, 1989), ni les fusées ni les spleens de Charles Baudelaire, ni même encore le Rastro, ce lieu de choses dans Madrid, greguerias signifiés par Ramòn Gòmez de la Serna (Ed. Ivrea) en 1915, ni enfin d’en venir à douter de l’existence des Cronopes et Fameux rapportés par Julio Cortazar (1962) et pourtant, tout ceci appartient au registre de la Fiction. Or il vient depuis quelques lustres l’idée que, l’empreinte du premier pas jamais fait sur la Lune et photographiée par l’un des astronautes de la première mission Apollo qui réussit le 20 juillet 1969 à alunir, cet événement donc, ne soit jamais arrivé.

Chronologie de la surchauffe de l’été 1969 :

20 juillet : Alunissage à 17h17 EST. Coordonnées : 0,7° N - 23,4°E. Site : Mare Tranquilitatis

27 juillet : Retour du "King" Elvis Presley à Las Vegas après une absence de 8 ans.

8 Août : Prise de la célèbre photo des Beatles qui ornera la pochette de l'album "Abbey Road".

9 Août : Sharon Tate, enceinte et épouse de Roman Polanski ainsi que six autres personnes sont assassinées par Charles Manson à Hollywood.

15 Août : Début du Festival de musique rock à Woodstock dans l'état de New York
11 septembre : Dernier épisode de la série "Le Prisonnier" avec Patrick McGoohan.

23 septembre : Plusieurs quotidiens britanniques lancent la rumeur que Paul McCartney est mort (cf. l'essai de Pacôme Thiellement).

A partir de cet été-là nous sommes entrés dans une sorte de projet de société que l’on pourrait qualifier de « Fiction terminale sous LSD ». Les fictions sont là depuis tout temps pour nous tranquilliser. Or, depuis l’invention de la Bombe et du Camp d'extermination, nous consommons beaucoup de tranquillisants chimiques. En 1969, « l’année érotique à base d’ergot de seigle », la télévision montre en mondiovision la Lune (re)foulée. Est-ce là l’ultime production d’Hollywood, un an après le 2001 de Kubrick et sept ans avant Star Wars ? Pour la première fois dans l'Histoire humaine, nous pouvons « vivre » une confusion idéale : celle de la fiction d'avec la réalité. "Confusion" car il n'est pas un jour sans que l'on nous informe de ce type d'écart (au sens quasi-géométrique) : entre, d’une part, la contingence et d’autre part, l'illusion. Les faits divers regorgent de petites phrases du style : « Oh, non, ce n’est pas vrai, il n’a pas pu arriver une chose pareille! » ou bien encore : « Dîtes-moi que tout ça n’est pas possible ! ». Une confusion idéale puisque la profusion d’événements confus n'irait pas sans notre assentiment, notre complicité. Les exemples d'opérations sont multiples : omniprésence de la télévision allumée, du "show", du déplacement de la représentation du réel dans les « frames » télégéniques, du primat des jeux immersifs, mais aussi, de façon grossière, affirmation d'un appareil linguistico-économique, issus des bio-pouvoirs émergeants dans le cadre de la "nouvelle économie" (qui ne fit pas illusion longtemps : à peine cinq ans) et enfin, et c’est la chose la plus inquiétante (au sens freudien) : le doute s’encrypte dans la doxa même, i.e. dans une conversation banale, ultrabanale même, personne n’est plus sûr de rien (cf. Genette, La Métalepse, 2004), renvoyant les sujets dialoguant à leur transparence, leur effacement, leur dissolution. Comment en est-on arrivé là ? Comment peut-on être sûr à l’heure du tout numérique, des manipulations génétiques, de la domination et du contrôle-scanner de tout l’espace terrestre et de tous les continents du savoir par l’Empire américain, qu’un événement nécessairement rapporté a bien eu lieu ? Comment les évolutions technologiques remettent en cause la notion de vérité, qui elle-même bouscule notre vision du passé, qui est lui-même un composé de traces, de patterns, de référents devenus invérifiables, friables, manipulables électroniquement et ad lib ? Comment expliquer que seuls certains événements se subliment en mythes  : i.e. l’alunissage reconstitué en studio, le sosie et la mort de Paul McCartney, le pénis de Sheila, la destruction des tours du World Trade Center programmée par la CIA ? Comment avoir confiance, se sentir rassurer, tranquille, cool ? (mais songeons ici à Pessoa) Il me semble que la plus belle réponse fut offerte en quatre lettres par le Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick : F.U.C.K. Oui, quand deux corps s’épousent, s’unissent, laissent l’un sur l’autre fluides, sels, sucs, bactéries, virus, énergies connues et inconnues, traces, cicatrices, présences, s’empoignent, se cherchent, s’éprouvent, se respirent et se transforment afin de transformer et le Temps et l’Espace pendant quelques minutes, il semblerait donc que baiser fusse le moyen le plus sûr de retrouver l’origine de l’empreinte laissée dans le sable des dunes de la Lune de 1969. 


A consulter (avec précautions) :

Essai : Jean-Luc Nancy, L' "Il y a" du rapport sexuel, Galilée, septembre 2001

Merci à Philippe Blondez, revue Bil Bo K


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