La période n'est pas facile pour les éditeurs, et encore moins pour les petites maisons d'édition régionales. C'est le cas en Franche-Comté, où il existe une cinquantaine de très petites structures, de un à quatre salariés. Ce sont pourtant ces maisons qui fournissent la richesse du tissu éditorial en France, face aux géants Gallimard ou Flammarion. « Il y a trop de livres, confie un petit éditeur. La rentabilité diminue et les tirages sont réduits ». Mais le plus difficile pour ces petites maisons d'édition, c'est la diffusion, qu'ils doivent la plupart du temps assurer eux-mêmes.
La coopérative : une innovation dans le livre
C'est pourquoi en Franche-Comté, depuis le 1er juillet, 35 éditeurs se sont rassemblés au sein de la Maison du Livre Diffusion Distribution (ML2D), une Société coopérative d'intérêt collectif (SCIC). Une « structure unique en France dans le monde du livre », comme l'indique le communiqué de presse nous informant de la nouvelle. Cette coopérative regroupe des éditeurs de Franche-Comté, mais aussi de régions voisines et même de Suisse. Elle n'exclut d'ailleurs pas de se développer nationalement.
Comme l'explique Danielle Michelot, directrice de la structure contactée par ActuaLitté, « dans toutes les régions les éditeurs ont deux ou trois titres qu'ils diffusent eux-mêmes. Cela leur coûte très cher ». Un point que nous souligne également Alain Mendel, éditeur de la maison Sekoya, et responsable communication de la nouvelle coopérative : « Le vrai souci des petits éditeurs, c'est de trouver des diffuseurs ».
Dans la nouvelle société, les actionnaires sont tous éditeurs, à raison d'un éditeur pour une voix. L'organisation interne est elle aussi originale, puisqu'il y a un président, Alain Peyreton, et un comité d'orientation composé de six éditeurs. « Une opération pilote » d'après Danielle Michelot, appelée à se développer dans de nombreuses autres régions. La structure offre une souplesse permettant de s'adapter à l'échelle économique des petits éditeurs.
Il y avait en effet plusieurs hypothèses pour aider à la diffusion et la distribution des éditeurs, comme nous l'explique Dominique Bondu, directeur du Centre Régional du Livre, contacté par ActuaLitté : « L'une des hypothèses était de faire des aides individuelles pour chaque éditeur, ce qui n'était pas adapté, car les diffuseurs nationaux sont saturés, et les distributeurs sont disproportionnés par rapport à la réalité des petits éditeurs. Il fallait donc mutualiser. Il faut un seul distributeur commun pour que les libraires commandent, et qu'il n'y ait qu'un seul compte ».
S'appuyer sur l'expérience
La nouvelle structure a en fait racheté le fonds de commerce de la Maison du Livre de Franche-Comté, une société anonyme crée en 1980 par le Syndicat des Libraires de l'Est de la France. « La société d'origine venait de la volonté de libraires qui cherchaient une plate-forme de distribution, pour s'approvisionner auprès d'une sorte de grossiste. Mais elle a connu d'importantes difficultés récemment, avec des dépôts de bilan de librairie. Elle était dans une situation catastrophique, et avait de longs retards de paiement. Les éditeurs se sont donc regroupés en coopérative pour racheter son fonds de commerce », nous explique Alain Mendel. L'ensemble du personnel a été repris, hormis le directeur qui a pris sa retraite. Pour Dominique Bondu, reprendre cette structure permettait à la fois de « la liquider proprement, tout en bénéficiant de ses acquis. C'était une structure obsolète, aux dirigeants vieillissants. Cela a permis ne pas partir ex nihilo ».
La nouvelle Maison du Livre Diffusion Distribution va donc essayer de diffuser ses éditeurs nationalement. Parmi les cinq salariés, l'un deux est donc chargé de la diffusion hors Franche-Comté. Comme l'explique Dominique Bondu, « l'édition dans la région s'est énormément développée, et il fallait donc passer à une autre étape, celle de la diffusion nationale pour eux, qui était une condition nécessaire à leur développement ».
Apprendre à travailler ensemble
S'ils sont 35 éditeurs à avoir intégré la coopérative, Alain Mendel tient à signaler que « ce sont des centaines d'éditeurs qui sont directement concernés ». On peut d'ailleurs être associé sans être distribué ni diffusé, et inversement. C'est donc tout le tissu éditorial régional, et au-delà, qui est touché par une telle initiative.
Si un tel travail ensemble est possible, c'est parce que malgré une situation de concurrence, les petits éditeurs ont tout intérêt à se tendre la main : « Il y a une bonne entente, et l'on préfère parler des difficultés du métier plutôt que de nos problèmes personnels », précise Alain Mendel. « Ce genre de projets reposent beaucoup sur les personnes », précise Dominique Bondu.
Mais c'est aussi grâce au travail du Centre Régional du Livre (CRL). Selon Alain Mendel, « le CRL a vraiment joué un rôle actif dans la prise en compte des problèmes de la profession. Il a eu un rôle politique et diplomatique de coordinateur et de rassemblement des partenaires ». Pour Dominique Bondu, ce projet est « le résultat d'une action au long cours depuis plusieurs années, qui vise à développer l'économie du livre. Nous avons mis à disposition du temps et des compétences techniques pour un projet aussi complexe, qui n'était pas réalisable par un simple collectif d'éditeurs. Nous avons aussi joué un rôle d'intermédiaire avec les collectivités territoriales qui ont apporté des financements ».
« Ce qui est intéressant, note avec humour Alain Mendel, c'est que c'est en Franche-Comté que furent créées au XIXe siècle les premières coopératives des idéalistes. Maintenant, c'est la première fois en France qu'elle telle structure voit le jour dans le monde du livre ».