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Préface à l’édition française de Tribus de Seth Godin par Marylène Delbourg-Delphis

Publié le 18 juillet 2009 par Diateino

Voici pour vous, en avant-première, la préface  de Marylène Delbourg-Delphis qui a également traduit ce livre.

Vous pouvez télécharger ce livre ici.

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Publié en octobre 2008 aux États-Unis (par Portfolio, une division de Pengin Group Inc, sous le titre Tribes - We need you to lead us), Tribus de Seth Godin est depuis plusieurs mois sur la liste des best-sellers d’Amazon.com dans les catégories Leadership et Business & Investing. Ce n’est pas un hasard. Le livre est court, se lit facilement, et, comme tous les livres de Seth Godin, il est à la fois distrayant et instructif.

Un livre qui réveille…

L’ouvrage se présente comme un discours motivationnel destiné à secouer quiconque «aimerait» se lancer dans quelque chose, quoi que ce soit, un restaurant, un groupe musical, une entreprise, une nouvelle ligne de produit, qu’importe !, mais ne se sent pas de taille à le faire, a peur de se jeter à l’eau ou est terrorisé à l’idée d’échouer. Le texte vous exhorte avec passion à vous débarrasser de vos craintes et à aller de l’avant. Pour vous stimuler plutôt que vous rassurer (vous n’avez pas le droit de ne rien faire), Seth Godin s’attaque à un certain nombre d’idées reçues sur ce qui fait de quelqu’un le leader idéal. Il n’est pas nécessaire d’être beau gosse, beau parleur ou de revêtir la tenue du parfait cadre dynamique. Vous pouvez parler doucement et être un tant soit peu effacé, comme Meghan McDonald, le coach d’une équipe de grimpeurs à La Nouvelle Rochelle, dans la banlieue de New York ; vous pouvez avoir un ego surdimensionné comme Steve Jobs, si votre créativité est capable d’en corriger les effets pervers ; vous pouvez être le quidam qui n’est rien dans la hiérarchie d’une entreprise, comme Jim Deligatti, le franchisé qui inventa le Big Mac. N’importe qui peut devenir un leader.

Les leaders n’ont pas de traits en commun, sauf ceux-ci : un refus constructif du statu quo, une énergie et un optimisme qui leur permettent de changer les choses et d’offrir une plateforme d’action aux gens qui ont envie de travailler dans leur sens – de les suivre. Car vous ne serez pas un leader tout seul : vous avez donc besoin d’une tribu, c’est-à-dire d’un «groupe de personnes connectées entre elles, connectées à un leader et connectées à une idée ». Alors créez votre tribu – ou trouvez-en une qui a besoin de vous. Les possibilités sont immenses. Godin fournit des quantités d’exemples au fil de la plume, dans le désordre souvent, mais toujours avec l’espoir de créer le déclic qui vous fera sortir du « comme d’habitude » où, selon un vieux tube de Claude François, « toute la journée », vous jouez « à faire semblant ».

On peut lire ce livre de plusieurs façons. Au niveau le plus simple, on peut y voir la profession de foi d’un marketeur éloquent qui présente avec brio les facettes de deux mots à la mode, « tribu » et « leadership ». N’en relativisez pas pour autant la valeur en vous disant que « c’est du marketing »… ou révisez vos idées sur le marketing. Si vous avez une réaction mitigée face au style orateur public payé pour prononcer un discours motivant, du pep talk, dites-vous que le monde qui nous entoure est plein de gens déprimés qui ne savent pas par où commencer pour échapper à la grisaille. Alors pourquoi ne pas leur donner un peu de punch et leur dire « Yes, you can » (Oui, vous le pouvez), le slogan d’Obama – originellement, le cri de ralliement en 1972 de César Chávez et Dolores Huerta, les co-fondateurs de l’Union Farm Workers, un syndicat paysan en Californie: « Sí, se puede». Après tout, la ferveur est contagieuse plus que pestilentielle ! Mais il y a bien plus.

1. Les tribus sont plus qu’un phénomène de mode.

Plus qu’un phénomène de mode auquel on peut s’attacher pour donner un titre accrocheur à un livre, les tribus sont un phénomène profond de société, dont l’une des manifestations les plus visibles de nos jours est le succès des réseaux sociaux partout dans le monde, et bien sûr, en France aussi. En février, une étude de comScore , Inc. montrait que 21,7 millions d’internautes (63,9 % de tous les internautes) avaient visité un site de réseautage social en décembre 2008, soit une hausse de 45 % par rapport à l’année précédente – même si la pénétration des réseaux sociaux en France reste inférieure à ce qu’elle est en  Angleterre (79,8 % des internautes) ou en Espagne (74,6 % des internautes). De tous les réseaux sociaux, c’est désormais Facebook qui est le plus visité, dépassant Skyrock, suivi de près par Copains d’Avant, puis par MySpace, FlickR, Trombi, hi5, Netlog, MySpace, Viadeo ou Badoo pour ne citer que les principaux.

Le cas de Skyrock est très particulier. Si la société semble avoir été détrônée de sa première place par Facebook en tant que réseau social, elle reste en tête comme plateforme de blogs devant Overblog et Blogger, non seulement en termes de visiteurs uniques, mais surtout pour le temps qu’y passent les gens (54 minutes en moyenne contre 10 et 7 pour Overblog et Blogger). Il reste que Skyrock occupe une place historique dans l’histoire des réseaux sociaux en France. Première radio indépendante privée nationale, créée en 1986 par Pierre Bellanger (l’un des contributeurs notoires au mouvement des radios libres, l’un des symboles de la tribalisation des médias, avec Radio Paris 80), Skyrock a incorporé les différentes formes d’Urban Music dans les années 90, évolué avec ses cibles vers Internet, créé une plateforme de blogs dès 2002, et s’est positionné en 2007 comme réseau social. En réalité, Skyrock illustre parfaitement la diversité et la continuité de la notion de tribu depuis les années 80, puisque c’est à cette époque que l’on s’est mis à fréquemment réutiliser le terme de « tribu » en dehors du monde des anthropologues.

Pourquoi le retour d’un mot évoquant un mode d’organisation aux connotations quasi archaïques, un style relationnel bien antérieur à l’ère industrielle ? Parce qu’il symbolise un type de lien social émotionnel, que le caractère abstrait des institutions politiques et organisations économiques nationales ou internationales qui structurent notre vie quotidienne a enfoui. Michel Maffesoli en signalait le besoin dans Le Temps des tribus en 1988 . Il analysait dans ce livre l’apparition d’un « archaïsme post-moderne », décrivant un « glissement de l’individu à l’identité stable exerçant sa fonction dans des ensembles contractuels, à la personne jouant des rôles dans des tribus affectuelles »  ainsi qu’un « glissement d’un ordre social essentiellement mécaniste  vers une structure complexe à dominante organique ».  (…)
La politique ennuie les gens, parce que « ce n’est plus à partir de l’individu, puissant et solitaire, fondement du contrat social, de la citoyenneté voulue ou de la démocratie représentative que l’on défend en tant que telle, que se fait la société. Celle-ci est, avant tout, émotionnelle, fusionnelle, grégaire ».  Et cette société est constituée d’une nébuleuse de tribus auxquelles nous avons envie d’appartenir parce que nous y trouvons un rôle actif, soit parce que nous y sommes un leader, soit parce que le fait de suivre un mouvement nous inspire et nous permet de partager des émotions avec d’autres qui suivent eux aussi. « Face à l’anémie d’un social trop rationalisé », nous choisissons la société empathique des tribus.

Comme le notait Maffesoli, les micromouvements que constituent les tribus ont d’abord pris leur ampleur sous la forme des tribus urbaines – et, depuis, la notion d’urban tribe a fait l’objet de nombreux ouvrages, dont l’un des plus récents est celui d’Ethan Watters, Urban Tribes: A Generation Redefines Friendship, Family, and Commitment, publié en 2003. Si divers facteurs ont exercé une fonction fédératrice dans la constitution de ces micromouvements initiaux, la musique a certainement été l’un des plus importants. Aussi n’est-ce pas un hasard si Seth Godin parle de l’impact précurseur des Grateful Dead dès les premières pages de son livre : « Il y a 40 ans, Jerry Garcia et les Grateful Dead ont pris des décisions qui ont changé l’industrie de la musique pour toujours. Vous n’êtes probablement pas dans cette industrie et peut-être n’êtes-vous jamais allé à l’un de leurs concerts, mais l’impact que les Dead ont eu affecte tout univers professionnel, y compris le vôtre. » La valeur iconique des Grateful Dead, souvent mal connus des tribus de jeunes actuelles, comporte plusieurs aspects. En voici quelques-uns. Au milieu des années 60, les Beatles et les Rolling Stones dominaient les ondes. S’éloignant à la fois de la musique pour les masses, diffusée par les médias et des habitudes claniques de la contre-culture, de l’underground ou des bohèmes diverses, les Grateful Dead ont mis la musique dans la rue. Dans le cadre, notamment, de leurs « street parties », ils organisaient des événements en plein air ou dans leur quartier à San Francisco, qui les connectaient avec leurs fans et connectaient les fans entre eux. Ils faisaient aussi tomber les barrières entre les genres, associant le psychédélique avec divers styles, allant du rock au gospel en passant par le progressive bluegrass, le country ou le blues et combinant des structures de composition de musique classique avec une instrumentation électronique et des moments d’improvisation. Le résultat est que dans les années 70, les Grateful Dead avaient suscité la formation des Deadheads, l’un des fan clubs les plus loyaux et diversifiés de la scène musicale: Patrick Leahy, élu au Sénat américain à l’âge de 34 ans en 1974 et maintenant président de son comité judiciaire, était/est un Deadhead !

Les tribus, grandes ou petites, sont parmi nous. Si, il y a vingt ans, Maffesoli devait se battre contre toutes sortes de dogmatismes pour démontrer le déclin de l’individualisme dans les sociétés postmodernes et adopter une rhétorique justificative parfois obscure de nos jours, l’effondrement des idéologies et des organisations corporatistes n’inquiète plus guère que ceux qui sont payés pour les maintenir, en d’autres termes ceux qui vivent d’un statu quo que Seth Godin pourfend tout au long du livre. Bien loin de créer le vide, les tribus postmodernes dont parle Seth Godin expriment la créativité et l’initiative. Son message est simple : ne vous asphyxiez pas dans une mentalité « usine », en attendant qu’un manager (qui n’est pas plus motivé que vous, mais fait son boulot lui aussi « comme d’habitude ») vous donne des ordres. Ne vous effacez pas dans un monde bureaucratique où vous ne faites que suivre des instructions. Transformez-vous en leader et gagnez le soutien des autres en formant votre tribu, ou repérez le leader capable de réactiver votre enthousiasme. Soyez prêt à devenir un « hérétique » ou à en suivre un pour introduire le changement qui mettra en cause les règles établies ou la sagesse conventionnelle. Á l’extérieur, mais aussi à l’intérieur des entreprises. L’intrapreneuriat tribal est à la fois un creuset et un tremplin pour l’innovation, et l’initiative par la base est un moteur du changement : « Dans une ère du changement par la base, le sommet de la pyramide est trop éloigné de là où se situe l’action pour faire une grande différence. Cela prend trop de temps et manque d’impact. Le sommet n’est plus le sommet car c’est dans la rue que l’action se déroule. »

L’enthousiasme communicatif de Godin pour les vertus rafraîchissantes des tribus ne l’empêche pas de voir la fonction répressive des tribus vieillissantes ou des tribus devenues trop grandes, trop bureaucratiques et dont la mission s’est diluée avec le temps. C’est ce qui fait la différence, selon lui, entre l’American Automobile Association qui a plusieurs millions de membres et la National Rifle Association. Tout le challenge d’une tribu est de garder son focus : avoir un leadership actif qui assure la dynamique et l’actualité de sa mission dans un monde où tout bouge plus rapidement – ce qui distingue les tribus postmodernes qui intéressent Seth Godin des groupes d’intérêts, des féodalités, des cliques et des castes, qui veillent essentiellement au maintien de leur image ou de leurs avantages statutaires. Mais ce sont aussi des tribus, qu’on les aime ou non. Car s’il est vrai qu’il y a à l’intérieur de toute tribu une sorte de fraternité, rien ne dit que les tribus fraternisent nécessairement entre elles!

A suivre  dans ce blog :

2. Tribus urbaines et tribus numériques, des phénomènes contemporains

3. La convergence des tribus : le cas Obama

4. Le Web – ou la différence universelle

Cette préface est diffusée en anglais par Marylène Delbourg-Delphis sur son blog.

Le blog de Seth Godin


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