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Chronique d'un déclin ordinaire

Par Lethee

Chronique d'un déclin ordinaire L'humain est ainsi fait. Croisant son prochain au plus mal de lui-même il prend peur. La misère, la détresse et le malheur effraient comme des maladies contagieuses. On les contracte par l'empathie, et l'altruisme. Aussi convient-il de se garder le plus possible de ces sentiments à risque.

L'humain a ses faiblesses aussi, ses paradoxes. Sur le point de toucher la misère du bout des doigts il recule comme devant Belzébuth, reprend la main qu'il s'apprêtait à tendre. Mais lorsqu'il entend parler de cette même misère.. et pourvu qu'il soit confortablement assis dans son impuissance, à mille lieues d'elle il prend pitié, et parfois même, éprouve de la peine.

Harold Cobert nous raconte l'histoire de Philippe, un père qui perd. Sa femme lui prend son toît, sa fille. Puis il perd aussi son travail, son permis... et rapidement tout ce qu'il possède. Très vite, la situation empire. L'argent se compte de plus en plus vite à mesure qu'il disparaît, s'égraine, jusqu'à manquer totalement. Alors l'équation se met en place d'elle-même : pas d'argent, pas de toît, pas d'adresse, pas de travail... pas d'argent. Philippe devient SDF. Sans domicile fixe.

Résumé ainsi, le livre paraît simpliste. Il s'agit cependant d'une histoire d'apparences, à tous les degrés. Si l'auteur orchestre pour Philippe un cap au pire infernal, c'est en veillant toutefois à le maintenir sur le chemin de la dignité. Philippe deviendra SDF, mais Cobert Sauve sa Dignité Férocement. Voilà précisément pourquoi ce déclin ordinaire suscite à la fois admiration et craintes. L'histoire de cet hiver-là nous rappelle page à page que ce peut être nous, mais qu'il ne convient pas ici de s'imbiber d'identification gratuite et stérile. Au contraire, Philippe en appelle à notre vigilance froide et désincarnée. Lui, c'est nous. Mais nous pourrions être tous ces Lui.

Et puis il y a Baudelaire : le chien. Harold Cobert ose faire de Charles un cabot protecteur. Baudelaire, c'est le bâtard errant qui finit par montrer la voie. Baudelaire, le livre, c'est la littérature montrant l'autre chemin de croix, celui que des milliers de vies arpentent sans témoins, sans un regard, sans considération, sans entrer pour autant dans l'Histoire, ni susciter de Bible, ni donner le cafard. Pour eux on ne prie pas, on change de trottoir.

Un hiver avec Baudelaire, c'est la littérature soutirant au regard l'aveu. L'histoire réclamant son dû d'intérêt au lecteur, dont elle refuse par ailleurs les larmes.

Et puis l'auteur veille. Il sème ici ou là quelque bâtiment flottant, où les âmes qui errent peuvent un temps devenir âmes à l'arrêt. Où les nauffragés se changent en amarrés.

C'est un roman où la fiction se fait à la fois bourreau et laquais d'une réalité trop silencieuse. Elle la sert sur un plateau, et brouille l'image trop dorée que nous nous en faisons. Voir ou ignorer, telle est la question. Agir ou consentir, telle en est l'autre version.

C'est avec une plume efficace, précise, juste et nécessaire que Harold Cobert nous entraîne dans la rue. Il n'y a pas de grand spectacle, pas d'effusion : juste un parcours normal et banalement effrayant, qui donne terriblement envie d'agir et de voir, et qui fait douter aussi : sommes nous des amis les uns pour les autres ? Ou sommes-nous éternellement seuls.. seul Baudelaire saura éclairer cette question.
Un hiver avec Baudelaire, Harold Cobert, Editions Héloïse d'Ormesson, Paris, 2009. 


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