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Alanis Obomsawin cineaste abenakise Voix autochtones a lecran

Par Raymond Viger

Il existe au Québec une cinéaste abénakise de 76 ans méconnue du grand public. Elle a consacré 35 films et sa vie à la reconnaissance, à l’expression et à l’autonomie des siens. Dans ses oeuvres, Alanis Obomsawin traite de la vie et de l’histoire des Autochtones canadiens pour transmettre une beauté et un espoir qui sont universels.

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J’ai découvert Alanis Obomsawin au printemps 2008, dans le cadre du grand hommage que lui rendait le Musée d’art moderne de New York. L’institution présentait alors, pendant deux semaines, une quinzaine de ses films. Je me suis demandé, comment se fait-il que je ne la connaisse pas? J’ai donc pris rendez-vous avec celle que tout le monde appelle simplement Alanis. Je l’ai rencontrée durant une heure dans les locaux montréalais de l’Office national du film.

En entrant dans son bureau, le visiteur est impressionné par les grands voiles bleus qui recouvrent en partie sa bibliothèque, et qui, avec le fauteuil de style «Vieille France», humanisent son espace. Sa voix, ses yeux, son sourire et ses silences sont aussi intenses que touchants. Ces deux qualités s’appliquent au film tourné en 1988 qui lui est particulièrement cher, Richard Cardinal: le cri d’un enfant métis. «De tous mes films, dit-elle, c’est celui qui m’a le plus marquée.»

Destin tragique

Dans ce documentaire d’une trentaine de minutes, Alanis Obomsawin raconte la très triste histoire de Richard Cardinal, un jeune Métis de 17 ans. Ballotté dès l’âge de quatre ans dans 28 foyers différents, l’adolescent s’est pendu en 1984 dans la cour arrière de sa dernière famille d’accueil. La cinéaste illustre le calvaire de Richard en interviewant son frère Charlie et certains de ses parents nourriciers, mais surtout, en faisant revivre la mémoire du jeune garçon par la citation d’extraits de son journal intime.

«J’avais quatre ans, écrit Richard, lorsque j’ai été obligé de quitter ma famille et mes amis. Une travailleuse sociale nous a dit que c’était parce que nos parents étaient alcooliques. Comme ma soeur Linda et Charlie étaient à l’école, je suis allé dans ma chambre et j’ai pris mon vieil harmonica. Je suis descendu dans la cour de la ferme et je me suis assis sur la  clôture. J’ai commencé à jouer très lentement. J’étais très triste à ce moment-là. Au milieu de ma chanson, mes lèvres se sont mises à trembler. Je savais que j’allais commencer à pleurer et j’étais content que ça sorte enfin. Je n’ai même pas essayé de me retenir.

«En arrivant dans ma famille d’accueil, on m’a montré où j’allais dormir. La chambre était au sous-sol et le plancher était couvert d’un pouce et demi d’eau. Je ne pouvais pas en croire mes yeux. Il fallait marcher sur des planches pour ne pas se mouiller les pieds (…) Le plafond n’était même pas fini, il y avait une ampoule de 40 watts qu’on allumait en tirant sur une corde. Ça ressemblait à quelque chose que l’on voit dans les films d’horreur. J’étais vraiment déprimé et j’ai commencé à penser au suicide.»

La cinéaste se rappelle encore avec beaucoup d’émotions ce qui s’est passé une fois le film terminé. Des larmes font d’ailleurs encore briller ses yeux quand elle en parle. «On a organisé une séance de visionnement, dit-elle, à laquelle assistaient des psychologues et des travailleurs sociaux, mais aussi d’autres adolescents qui, comme Richard, vivaient à ce moment-là dans des centres de détention pour jeunes de l’Alberta. Charlie, le frère de Richard, était avec moi ce jour-là. Après la projection, les jeunes se sont approchés de lui et l’ont touché. Ils étaient comme magnétisés. Ils n’arrêtaient pas de lui dire: ‘‘C’est moi Richard… Richard, c’est moi…’’ Ils se reconnaissaient dans l’histoire de Richard.»

Ce documentaire fut ensuite projeté aux quatre coins du Canada, notamment en Alberta, la province natale de Richard Cardinal. Les pouvoirs publics ont été suffisamment alertés et sensibilisés pour que s’enclenchent des changements dans les lois touchant les jeunes Autochtones et Métis. On allait entre autres s’efforcer désormais de ne pas séparer les enfants d’une même fratrie lors d’un placement dans une famille d’accueil afin de leur éviter un sentiment d’isolement qui peut mener à la dépression.

Refus de s’intégrer

Avec le film en tête, j’ai demandé à la réalisatrice, «mais par où commencer madame Obomsawin? Quel geste poser, quelle attitude adopter, si on souhaite sincèrement aider les Amérindiens à s’intégrer?» La dame a gardé le silence pendant quelques secondes et, quand elle a ouvert la bouche pour répondre, il y avait un soupçon de colère dans sa voix. «Vous parlez d’intégrer mais être intégré, ce n’est pas du tout dans la pensée de nos gens, dit-elle sèchement. On est ce que l’on est, on n’a besoin de s’intégrer à personne. On n’a jamais demandé aux Blancs d’être comme nous autres, alors qu’eux, bien souvent et dans bien des choses, ils nous ont forcés… Alors, je vais vous dire: chez nous, l’intégration, personne ne pense à ça. Nous, on veut être capable de vivre ce que l’on est, de se faire respecter pour ce que l’on est. C’est à cause de cette absence de respect qu’il y a eu tellement de ravages dans nos communautés.»

Alanis Obomsawin sait être ferme quand il s’agit de remettre les pendules à l’heure. Ses films, pourtant, n’ont pas un ton accusatoire et agressif dirigé contre les Blancs et les injustices qu’ils ont commises envers les Amérindiens. La fermeté de son discours n’exclut pas la douceur et la beauté présente dans ses oeuvres. Une critique de cinéma a dit de ses documentaires qu’ils «ont fondamentalement modifié la façon de sensibiliser les non-Autochtones à la cause des Premières nations.»

Une heure passée avec cette grande artiste, c’est bien court. Une chose est sûre: l’hommage que lui a rendu l’an dernier le Musée d’art moderne de New York ne devrait étonner personne. En effet, les films qu’elle a réalisés tout au long de sa vie, même s’ils traduisent les réalités amérindiennes du Québec et du Canada, parlent avant tout de l’âme et de la survie des Autochtones à l’échelle planétaire.

Il est possible de visionner en tout temps à la CinéRobothèque de Montréal vingt-et-une des oeuvres d’Alanis Obomsawin.

Les films peuvent aussi être visionnés sur le site Internet de l’Office national du film du Canada: www.onf.ca

Reflet de Société, Vol 17, No. 4, Juin/Juillet 2009, p. 18-19



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