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Béatrice et Bénédict

Publié le 31 juillet 2009 par Porky

Non. Quoi que vous puissiez en penser, il n'y a pas de faute à Bénédict, prénom masculin fort peu utilisé, presque aussi peu connu que l'œuvre qui va être le sujet de ce billet...

La composition de Béatrice et Bénédict, dernière œuvre de Berlioz, résulte d'une commande d'Edouard Bénazet, le directeur des jeux de Baden-Baden, pour le théâtre qu'il faisait construire dans cette station thermale bien connue des curistes de l'époque. Bénazet avait décidé d'ajouter aux attractions diverses de la ville un grand concert de gala et avait chargé Berlioz de l'organiser et de le diriger. Le compositeur passa donc tous ses mois d'août, à partir de 1855, à préparer ce « gala » annuel et ce dans des conditions absolument idéales. Il avait même pu choisir lui-même les membres de son orchestre, recrutant les meilleurs exécutants européens et disposa, en 1858, de onze répétitions pour Roméo et Juliette.

Lorsque Bénazet lui fit part de son projet initial, un livret inspiré d'un épisode de la Guerre de Trente Ans, Berlioz ne manifesta pas un enthousiasme délirant mais se sentant à juste titre son obligé, accepta de se mettre au travail. Puis, au bout de quelques semaines, il persuada Bénazet d'abandonner la guerre de Trente Ans à son triste sort et de le laisser concrétiser une idée qu'il avait eue bien des années auparavant, l'adaptation en opéra de la pièce de Shakespeare Much Ado About Nothing (Beaucoup de bruit pour rien). Le « Directeur des jeux de Baden-Baden » accepta et le 9 août 1862, Béatrice et Bénédict était créé lors de l'inauguration du nouveau théâtre. Le livret était signé du compositeur et c'était une traduction assez fidèle du texte de Shakespeare.

L'année suivante, l'ouvrage fut monté de nouveau avec deux numéros musicaux en plus au deuxième acte. L'opéra fut bien accueilli par le public et les réactions de la presse française n'étonnèrent pas Berlioz. Ainsi écrivit-il à un ami quelques jours après la première « ... Vous ririez si vous pouviez lire les sots éloges que la critique me donne. On découvre que j'ai de la mélodie, que je puis être joyeux et même comique. [...] Ils se sont aperçus que je ne faisais pas de bruit en voyant que les instruments brutaux n'étaient pas dans l'orchestre. » (1)

Ce qui est remarquable dans la composition de cet opéra, c'est qu'il intervient à un moment très sombre de la vie de Berlioz : il n'arrivait pas à faire représenter Les Troyens, œuvre qu'il savait la plus grande de toutes celles qu'il avait écrites ; Wagner venait de réussir là où il avait échoué (on avait englouti d'énormes sommes pour monter Tannhäuser, sommes introuvables pour Les Troyens) ; ses relations avec son fils Louis qu'il adorait étaient tendues et difficiles ; matériellement, il était obligé, pour vivre, de faire de la critique littéraire ; quant à sa santé, elle déclinait fortement et il devait endurer des crises de « névrose intestinale » qui le faisaient cruellement souffrir. Autant dire que tous les éléments étaient réunis pour composer une musique particulièrement sombre. Or, rien de tel dans Béatrice et Bénédict : l'œuvre est d'une « chatoyante sérénité » et d'une « ironie sans la moindre aigreur » ; c'est « une œuvre à la fois sans amertume et sans illusion ». (2)

L'opéra, bien que simplifiant considérablement la pièce originale, reste cependant fidèle à Shakespeare car il en conserve l'essence tout en évacuant un certain nombre de personnages et, comme la pièce, « dénonce la différence existant entre la complexité et l'ambiguïté des sentiments intimes, et les rites sociaux qui sont censés les représenter. » (2)

Il n'a jamais été question, pour Berlioz, de mettre en musique intégralement Beaucoup de bruit pour rien. Pour lui, l'action proprement dite se limite à cela : persuader Béatrice et Bénédict qu'ils s'aiment. Ainsi, l'essentiel de la comédie est l'évolution progressive de l'attitude de la brillante Béatrice envers Bénédict le galant : moquerie et feinte indifférence qui conduiront cependant le couple au mariage après une querelle carabinée. Berlioz limite ses ambitions et sur le plan formel, adopte les conventions de l'opéra-comique, alternant ainsi passages chantés et passages parlés, les numéros musicaux ne faisant pas avancer l'action mais commentant les situations créées par les dialogues parlés. La première idée de Berlioz avait été de composer un opéra en un acte ; la version définitive en deux actes reste cependant brève, sans développement excessif.

Béatrice et Bénédict n'est pas un ouvrage très souvent monté sur les scènes lyriques, et c'est bien dommage car il y a d'admirables pages, notamment le sublime « duo nocturne » qui clôt l'acte I, écrit pour deux voix féminines -Héro et Ursula- et dont W. J. Turner disait que c'était « une merveille d'indescriptible beauté lyrique, où l'auteur exprime admirablement son amour de la nature. »

(1) Hector Berlioz, cité par David Cairns.

(2) David Cairns

ARGUMENT

A Messine, en Italie.

Acte I - Dans le parc du gouverneur de Messine, Léonato.

Le peuple attend dans la joie le retour de Don Pedro d'Aragon et de ses troupes, vainqueurs des Maures. Entre Léonato, accompagné de sa fille Héro et de sa nièce Béatrice. On annonce que Don Pedro et sa suite vont débarquer très bientôt à Messine. Héro est au comble du bonheur en apprenant que son bien-aimé Claudio revient de la guerre sans une seule blessure et couvert de gloire pour ses hauts faits. Béatrice, très sarcastique, demande des nouvelles du « Seigneur Matamore », autrement dit Bénédict. Le chœur recommence à chanter, raillé par Béatrice que la platitude des vers agace au plus haut point. Puis, après une Sicilienne endiablée, la scène se vide. Héro reste seule et rêve au moment tout proche où elle sera enfin unie à Claudio.

Entrent Don Pedro et sa suite: on décide rapidement du mariage de Héro et Claudio tandis que Béatrice et Bénédict s'envoient des piques acérées mais leurs mutuelles railleries dissimulent mal l'intérêt qu'ils se portent. Don Pedro félicite Claudio pour son mariage et déclare que cet exemple doit inciter Bénédict à faire de même. Mais ce dernier reste imperméable aux moqueries : il restera et mourra célibataire. Restés seuls, Don Pedro et Claudio décident de trouver un moyen d'obliger Béatrice et Bénédict à s'éprendre l'un de l'autre.

Entrée des musiciens de la cour, sous la houlette de leur maître, Somarone (personnage n'existant pas chez Shakespeare) ; ils sont censés répéter l'épithalame que ce dernier a composé à l'intention des mariés ; mais la répétition est tellement nulle que Somarone éclate en imprécations. Arrive Don Pedro qui le convainc de reprendre le tout et les musiciens sortent. Dans l'entre-temps, Bénédict est entré mais s'est caché sous une charmille ; il surprend donc une conversation apparemment sérieuse entre Pedro, Léonato et Claudio (qui savent cependant qu'il écoute) au cours de laquelle il est question de l'attitude surprenant de Béatrice : amoureuse folle de Bénédict, elle ne veut cependant pas lui révéler ses sentiments. Et, concluent-ils, il ne faut rien dire à Bénédict car il se moquerait d'elle. Ils partent et Bénédict sort de sa cachette, étonné ; dans un air exubérant, il décide d'idolâtrer Béatrice et énumère avec joie toutes ses qualités et tous ses charmes.

Paraissent Héro et Ursule, sa dame d'honneur. Elles rient de la comédie qu'elles ont jouée à Béatrice en lui laissant entendre l'éloge qu'elles faisaient de Bénédict, dépeint par elles comme amoureux fou de Béatrice. La lune se lève : tout est en place pour le sublime duo nocturne dans lequel les deux jeunes femme se plongent dans une rêverie mélancolique sur la beauté de la nuit et le mariage tout proche.

ACTE II - Un grand salon dans le palais du gouverneur.

Après un dialogue entre les serviteurs, alors que les rires et les chants parviennent de la salle voisine, Somarone entonne une chanson à boire, accompagné par les guitares et les tambourins. Entre Béatrice, très agitée. Elle évoque la tristesse qui l'envahit le jour où Bénédict partit pour la guerre, les mauvais rêves qui l'assaillaient pendant son absence et finit par admettre sa défaire : elle est bel et bien amoureuse du jeune homme.

Arrivent Héro et Ursule qui feignent l'étonnement devant l'agitation de Béatrice. Elles lui dépeignent l'horreur et les désillusions du mariage et affirment que ce dernier serait fatal pour Béatrice. Mais la réaction violente de Béatrice les oblige à s'arrêter. Héro et Ursule quittent la scène et demeurée seule, Béatrice écoute un chœur lointain qui appelle Héro à la cérémonie. Arrive Bénédict : échange peu amène entre les deux jeunes gens mais le ton a changé. Ils semblent l'un et l'autre embarrassés et l'entrée du cortège nuptial interrompt cette étrange « conversation ».

Claudio et Héro signent le contrat de mariage en présence de tout le monde. On produit alors un second contrat. Béatrice et Bénédict (à qui ce nouveau contrat est destiné) prétendent ne pas s'aimer « plus que de raison » mais on produit des aveux d'amour de leur propre main pour les confondre. Ils persistent dans leurs affirmations et déclarent n'accepter que par compassion. Finalement, Bénédict reconnaît la toute puissance de l'amour et la légèreté de l'homme mais continue de jouer avec Béatrice la comédie de l'indifférence qui cache en fait une passion si forte que personne ne peut ni la deviner, ni la comprendre. « Pour aujourd'hui, la trêve est signée : nous redeviendrons ennemis demain. » L'opéra s'achève sur le duo d'amour de Béatrice et Bénédict.

VIDEO 1 : Le « duo nocturne », final de l'acte I : à écouter les yeux fermés...

VIDEO 2 : Air de Béatrice  acte I : Frederica von Stade.

 


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